L’ennemi de notre ennemi: comment l’herpès oncolytique pourrait aider à guérir le cancer
La COVID-19 nous a démontré, par une expérience amère, à quel point un virus peut être ingénieux. Mais ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres. Saviez-vous que certains virus peuvent se répliquer de manière sélective dans les cellules cancéreuses? Ces virus dits oncolytiques (VO) ont soit évolué, soit été conçus en laboratoire pour exploiter au mieux les cellules cancéreuses, dans la mesure où ces dernières opposent moins de résistance aux infections virales que les cellules saines. Ajoutez à cela un contexte dans lequel la différenciation des cellules cancéreuses par rapport aux cellules normales est devenue le Saint Graal de la recherche sur le cancer, et vous commencerez à avoir une meilleure vue d’ensemble. «Le principe du VO consiste à atténuer la réplication virale», explique Maria Gabriella Campadelli de l’Université de Bologne, bénéficiaire d’une subvention du Conseil européen de la recherche (CER) et chercheuse principale du projet ONCOLYTIC-HERPES (Oncolytic herpes viruses retargeted to cancer-specific receptors). «Le VO affaibli se réplique dans les cellules cancéreuses et les tue et, dans une large mesure, épargne les cellules non cancéreuses au cours du processus.» Les chercheurs tentent depuis plus de deux décennies de développer des virus atténués destinés à éliminer le cancer. L’un d’eux – actuellement le seul approuvé en tant que médicament thérapeutique – est un virus herpès simplex (HSV) affaibli, connu sous le nom de T-VEC ou ONCOVEX-GMCSF. Sa sûreté, son affinité avec les cellules cancéreuses et sa capacité à traiter plusieurs fois les patients sans être bloqué par leur système immunitaire en font l’une des alternatives les plus prometteuses aux traitements tels que la chimiothérapie et la radiothérapie chez les patients atteints de mélanome. Il existe toutefois un problème. Forcer le virus à distinguer les cellules normales des cellules cancéreuses a jusqu’à présent conduit à son affaiblissement, ce qui réduit sa capacité à détruire les cellules cancéreuses. En outre, il n’est efficace que pour un nombre limité de tumeurs. C’est précisément la raison pour laquelle l’équipe de Maria Gabriella Campadelli avait entrepris, avant le projet ONCOLYTIC-HERPES, de modifier génétiquement des HSV qui n’infectent et ne tuent que les cellules cancéreuses. Le prototype cible la protéine HER2 – un récepteur dans les tumeurs du sein, des ovaires et autres – et le détruit.
Spécificité ou atténuation
«Au lieu d’atténuer la virulence, nous voulions gagner en spécificité cancéreuse en modifiant le tropisme du virus (la manière dont il réagit aux stimuli). Nos virus herpès simplex oncolytiques (oHSV) “reciblés” pénètrent dans les cellules cancéreuses par des molécules spécifiques à leur surface. Ils deviennent “pleinement virulents” dans leurs cellules cancéreuses cibles et acquièrent cette sélectivité grâce à une haute spécificité du cancer plutôt qu’à une atténuation», explique Maria Gabriella Campadelli. Avec ce projet, Maria Gabriella Campadelli voulait rendre les oHSV encore plus performants et éligibles pour un essai clinique. Le premier axe de son équipe consistait à mettre au point un système de production de oHSV reciblés dans des cellules non cancéreuses. «Les oHSV reciblés HER2 utilisés dans les études précliniques ont été produits dans des cellules cancéreuses, et nous savions qu’une telle méthode ne serait guère approuvée pour un virus au niveau clinique. Nous devions élaborer de nouvelles stratégies de reciblage et nous avons opté pour deux séries de modifications génétiques des glycoprotéines du HSV qui servent de médiateurs à l’entrée du virus dans la cellule. La première modification permet l’infection des cellules productrices par un récepteur artificiel que nous avons conçu, et la seconde modification permet l’infection des cellules cancéreuses par le récepteur cancéreux choisi», souligne Maria Gabriella Campadelli. Dans la foulée, l’équipe financée par le CER a démontré que les oHSV sont extrêmement efficaces pour stimuler la réponse immunitaire antitumorale et la rendre beaucoup plus sensible aux inhibiteurs de points de contrôle (ou thérapie combinée). Même si une telle possibilité doit encore être testée, les oHSV reciblés pourraient potentiellement être associés à des lymphocytes T porteurs de récepteurs antigéniques chimériques (CAR-T) pour les tumeurs solides. L’équipe a également montré comment les oHSV pourraient devenir une plateforme pour d’autres récepteurs du cancer et, à terme, cibler les tumeurs du sein, des ovaires, de l’estomac, du poumon et du pancréas, le cancer colorectal, les carcinomes de la tête et du cou, etc. Enfin, il s’est avéré que le virus était si spécifique au cancer qu’il est efficace même en cas d’administration générale, du moins chez la souris. Le projet étant maintenant terminé, Maria Gabriella Campadelli espère trouver une entreprise disposée à investir dans un premier essai clinique sur l’homme, probablement en combinaison avec des inhibiteurs de points de contrôle. En cas de succès, cet essai clinique pourrait marquer un véritable tournant dans la guérison des patients atteints de cancer.
Mots‑clés
ONCOLYTIC-HERPES, HSV, virus oncolytique, cancer, HER2, réplication virale, reciblé, COVID-19