Un nouveau regard sur les conflits intergroupes
À en juger par les titres des journaux, il semblerait que l’homme soit une espèce rancunière. «L’histoire regorge d’exemples de groupes de personnes qui s’affrontent, un schéma malheureux qui perdure aujourd’hui», explique Carsten De Dreu, professeur à l’université de Groningue. Mais ce comportement résulte-t-il du fait que les humains sont programmés pour ne pas aimer les «étrangers», ou s’explique-t-il par d’autres facteurs? «Les humains sont également très capables de se soucier des autres, ils sont souvent prêts à aider et à éprouver de l’empathie pour ceux qui sont dans le besoin, et ils ont généralement horreur de faire du mal aux autres», ajoute Carsten De Dreu. «Comment concilier cette capacité à prendre soin de l’autre avec une tendance omniprésente à se battre?» Soutenu par le projet ATTACK financé par l’UE, Carsten De Dreu a voulu le découvrir.
Les processus et les pressions à l’origine des conflits intergroupes
Selon Carsten De Dreu, bien que la recherche en sciences du comportement ait permis de mieux comprendre les conflits intergroupes, elle s’est exclusivement concentrée sur les processus microéconomiques au sein des groupes en conflit et entre eux. Ce qu’elle ignore, ce sont les pressions macroéconomiques qui pourraient contribuer à ces conflits, comme le changement climatique ou la pénurie de ressources. «Notre objectif était de voir si ces pressions au niveau macro étaient liées à des processus au niveau micro, et plus particulièrement si les premières déclenchaient les seconds, aboutissant finalement à un conflit intergroupe», explique Carsten De Dreu.
Le rôle du stress lié à la capacité de charge
Pour commencer, le projet a proposé le stress lié à la capacité de charge (CCS pour «carrying-capacity stress»), que les groupes subissent lorsqu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour fonctionner, comme le chaînon manquant entre les pressions au niveau macro et les processus au niveau micro. «Le CCS est une fonction des pressions macroéconomiques et crée des conflits intergroupes parce qu’il affecte la motivation microéconomique à contribuer à la capacité de combat d’un groupe», ajoute Carsten De Dreu.
Du conflit intergroupe à l’échange coopératif
En s’appuyant sur la théorie des jeux, les chercheurs ont testé leur hypothèse au moyen d’une série d’expériences en laboratoire dans des cultures occidentales et non occidentales. Ils ont découvert que le CCS est une cause nouvelle et donc non identifiée de conflit entre des groupes de personnes, mais pas de la manière que l’on pourrait supposer. Au lieu de rendre les personnes rancunières à l’égard des étrangers, le CCS rend les humains plus attentifs à ceux qui font partie de leur propre groupe ou de leur propre communauté. Ainsi, les attaques agressives contre les étrangers sont menées dans le but d’améliorer le groupe d’appartenance. «Contrairement à ce que nous et d’autres avant nous supposons souvent, les personnes ne sont pas intrinsèquement négatives à l’égard des groupes extérieurs», fait remarquer Carsten De Dreu. «Le contexte est important, et le fait d’offrir aux individus non seulement des options pour agresser les étrangers, mais aussi des options pour les avantager, pourrait contribuer à détendre les relations intergroupes et à faire évoluer les groupes vers des échanges coopératifs.»
Un nouveau paradigme pour penser les conflits intergroupes
En adoptant une approche interdisciplinaire de la science du comportement qui fasse appel à la psychologie sociale et politique, à l’économie expérimentale et aux neurosciences cognitives, le projet ATTACK a réorienté la façon dont nous envisageons les conflits intergroupes. «En proposant un nouveau paradigme pour penser et étudier les relations intergroupes, notre travail pourrait ouvrir la voie à de nouvelles façons d’intervenir, de prévenir et de résoudre certains des conflits qui continuent à causer tant de souffrances», conclut Carsten De Dreu. Le projet, qui a reçu le soutien du Conseil européen de la recherche, s’efforce actuellement d’élargir les implications de ses recherches, en examinant, par exemple, comment le CCS peut influencer la coopération entre les groupes.
Mots‑clés
ATTACK, conflit intergroupe, science du comportement, conflit, changement climatique, pénurie de ressources, stress lié à la capacité de charge