Une technique génomique révolutionne le développement de médicaments en identifiant la résistance aux antibiotiques en l’espace d’une journée
Comme tous les organismes, les bactéries s’efforcent constamment de survivre et de se développer dans un monde en constante évolution, confrontées à des températures changeantes, à des réserves alimentaires variables et — comble de l’horreur — aux antibiotiques. Les mutations, c’est‑à‑dire les modifications du code ADN, sont les principaux moteurs de l’évolution: même les plus petites (changement d’un seul nucléotide) ont de l’importance.
La crise de la résistance aux antibiotiques
Jadis considérées comme sans défense contre les antibiotiques développés il y a 50 ans, les bactéries ont modifié leur machinerie génétique au fil du temps, ébranlant notre confiance dans la capacité des antibiotiques à contrôler les maladies infectieuses et à sauver des vies humaines. L’avertissement sans équivoque lancé dans un rapport révolutionnaire des Nations unies sur la résistance aux médicaments indique qu’un nombre croissant de maladies courantes deviennent impossibles à traiter. Si aucune mesure n’est prise, le nombre de personnes dans le monde susceptibles de succomber à une infection devenue résistante aux médicaments pourrait atteindre 10 millions par an d’ici 2050. Depuis des milliards d’années, les bactéries évoluent constamment pour mieux s’adapter à leur environnement. Il n’est pas surprenant qu’elles puissent désormais développer une résistance aux antibiotiques. «Contrairement à leurs homologues non résistantes, les bactéries résistantes ont plus de chances de conserver leur virulence et de se multiplier, même lorsqu’elles sont exposées aux antibiotiques», note Csaba Pal, coordinateur du projet Aware, financé par l’UE. «Malgré cette crise mondiale de la résistance aux antibiotiques, les grandes entreprises pharmaceutiques retirent leurs programmes de recherche sur ces médicaments, ce qui est très inquiétant», ajoute Csaba Pal. Le chercheur cite l’exemple de grandes entreprises pharmaceutiques qui ont perdu des millions en examinant des candidats antibiotiques dont la résistance est apparue très tard dans la phase clinique.
Dépister les changements évolutifs sur des échelles de temps plus courtes
Face à ce risque croissant d’investissement, le chercheur et son équipe ont mis au point une méthode novatrice permettant de tester rapidement les nouveaux candidats antibiotiques pour déterminer leur potentiel d’évolution de la résistance à un stade très précoce du développement clinique. «Notre méthode d’ingénierie du génome, DIvERGE, permet de tester toute une bibliothèque de molécules, révélant une résistance probable en quelques jours. Notre méthode, qui signifie “évolution dirigée avec mutations génomiques aléatoires”, permet de multiplier par un million le taux de mutation dans des régions spécifiques du génome bactérien», explique Csaba Pal. «Nous introduisons généralement des mutations dans cinq loci du génome de la bactérie que nous jugeons susceptibles de développer une résistance. Il ne faut qu’un ou deux jours pour générer des milliards de combinaisons de mutations dans le tube à essai.»
Expériences de preuve de concept
La possibilité de stimuler la mutagenèse dans les bactéries de manière très spécifique et contrôlée pourrait constituer une stratégie puissante pour orienter le développement de médicaments. Csaba Pal s’est alors interrogé: «S’agit‑il seulement d’un jeu fantaisiste, ou notre méthode pourrait‑elle effectivement s’avérer utile?» Comme preuve de leur concept, Csaba Pal et son équipe se sont tournés vers la gépotidacine, un antibiotique potentiel de première catégorie actuellement en phase III des essais cliniques. En deux jours, DIvERGE a révélé que deux mutations spécifiques anéantissaient toute efficacité de l’antibiotique. «Pour ne rien arranger, l’une de ces mutations se retrouve dans de nombreuses bactéries pathogènes, ce qui signifie que beaucoup d’entre elles ne sont qu’à une mutation ou à une étape de développer une résistance à la gépotidacine», fait remarquer Csaba Pal. Dans leur quête de commercialisation de la technologie, les chercheurs ont conclu un accord de licence non exclusif avec une société israélienne active dans les phagothérapies. L’équipe souhaite souligner le potentiel de DIvERGE pour cribler les profils de résistance de ces virus, qui sont considérés comme des alternatives prometteuses aux antibiotiques dans l’éradication de bactéries pathogènes. La crainte de l’émergence rapide de la résistance est un obstacle important au développement de nouveaux médicaments. «En révélant les mécanismes de résistance potentiels assez tôt dans le processus de conception des médicaments, nous aspirons à aider les entreprises pharmaceutiques à donner la priorité aux meilleurs composés candidats et à les empêcher d’investir des milliards dans de nouveaux médicaments dont l’efficacité pourrait bientôt diminuer considérablement», conclut Csaba Pal.
Mots‑clés
Aware, résistance, bactéries, antibiotiques, mutation, entreprises pharmaceutiques, génome, DIvERGE, évolution dirigée