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Des alliances transnationales pour dynamiser le commerce en ligne paneuropéen

Tous les e-commerçants ne peuvent pas se permettre d’expédier leurs produits vers d’autres pays européens. La logistique, le coût et la confiance du consommateur figurent parmi les obstacles majeurs à une expansion réussie. Mais qu’en serait-il si ces commerçants pouvaient former des alliances transnationales? Le projet DSMFACIL a étudié le potentiel de ce type de collaboration.

Économie numérique icon Économie numérique

Le marché unique numérique (MUN) est l’une des priorités de la Commission européenne pour les années à venir, mais sa réalisation n’est pas aussi simple qu’il paraît. Outre les barrières linguistiques empêchant les consommateurs d’acheter sur des plateformes de commerce électronique étrangères, le secteur est également confronté à d’autres difficultés. Les coûts de livraison, le manque de confiance des consommateurs dans la livraison et les services après-vente, ainsi que leur mauvaise connaissance des détaillants étrangers ne sont que quelques-uns des nombreux problèmes à résoudre. Pour surmonter ces obstacles, le projet DSMFACIL (Facilitating a digital single market in Europe through cross-border alliances), entrepris avec le soutien du programme Actions Marie Skłodowska-Curie, propose des alliances transnationales mutuellement avantageuses pour tous les partenaires impliqués. Les partenaires du projet ont étudié ces solutions et posé les bases de leur réalisation. Nevin Mutlu, professeur assistant à l’Université de technologie d’Eindhoven, nous explique les travaux menés par l’équipe et leur impact potentiel sur le MUN européen.

Selon vous, quels sont actuellement les principaux obstacles au MUN?

Nevin Mutlu: Il y a plusieurs problèmes à résoudre avant de pouvoir réaliser le MUN en Europe. Depuis la phase de conceptualisation de notre projet (vers 2016), la Commission européenne a adopté des réglementations pour résoudre certains problèmes importants liés à la législation, tels que des règles de TVA trop complexes pour les achats transnationaux ou le géoblocage. Je pense néanmoins que d’autres défis restent à relever. Je pense que le géoblocage, par exemple, est le symptôme d’un problème beaucoup plus large: la plupart des détaillants mettent en œuvre le géoblocage non par souhait de bloquer tout échange avec des consommateurs étrangers, mais parce qu’honorer de telles commandes peut s’avérer très coûteux et peu fiable. En soi, il me semble qu’un des obstacles importants au MUN réside dans les différences entre les pays en termes d’infrastructures logistiques (physiques comme non physiques). Celles-ci sont à l’origine de problèmes d’exécution dans la livraison des commandes transnationales, ce qui a ensuite un impact sur la demande des consommateurs et fragmente le marché numérique européen.

Comment DSMFACIL étudie-t-il ce problème?

Nous utilisons une approche interdisciplinaire pour fournir des analyses prédictives en utilisant des modèles économétriques, ainsi que des informations prescriptives grâce à des techniques d’optimisation de la chaîne d’approvisionnement. Pour vous donner un exemple, notre première étude avec Ton de Kok, Sarah Gelper et Faranak Khooban a porté sur les achats transnationaux des consommateurs. Nous avons utilisé des données d’achat en ligne au niveau individuel portant sur près de 21 000 consommateurs dans 27 pays de l’UE et avons vérifié si les différences d’infrastructures logistiques contribuaient effectivement à la fragmentation du marché numérique européen. Plus important encore, nous avons tenté de comprendre si les effets de ces différences pouvaient être atténués (ou exacerbés) par d’autres facteurs au niveau macro dans ces pays, des facteurs comme la richesse, les réglementations ou la culture. Les connaissances que nous avons tirées de cette étude ont été essentielles pour élaborer des modèles réalistes d’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, car elles nous ont aidés à identifier les cadres dans lesquels les alliances transnationales sont susceptibles d’être fructueuses.

Justement, qu’est-ce qui vous fait penser que des alliances transnationales pourraient être la solution? Pourriez-vous donner quelques exemples de telles alliances réussies?

L’idée des alliances transnationales dans le secteur de la vente au détail vient du secteur aérien. Grâce à des pratiques de partage de codes, les compagnies aériennes de différents pays peuvent collaborer pour étendre leur portefeuille d’offres de destinations au bénéfice des clients. La clé du succès ici consiste à identifier la création d’alliances comme une situation gagnant-gagnant. La situation est assez similaire pour le commerce de détail, même si les ensembles de contraintes diffèrent. Traditionnellement, les infrastructures de transport en Europe sont conçues pour les gros volumes de marchandises, non pour les envois de petite taille du commerce électronique. Une logistique peu fiable est un problème clé qui conduit à la fragmentation. Ainsi, notre projet a étudié l’idée d’alliances transnationales dans lesquelles les commerçants peuvent tirer parti de leurs propres réseaux nationaux pour commercialiser, stocker et livrer les produits de leurs partenaires plus efficacement dans leur propre pays. Des collaborations entre détaillants locaux ont été observées dans la pratique. Par exemple, Marks & Spencer collabore avec Ocado au Royaume-Uni pour la livraison de ses commandes en ligne. Le détaillant allemand Aldi utilise l’espace inoccupé des boutiques Kohl’s aux États-Unis afin que les consommateurs puissent combiner leurs achats d’épicerie et de mode en une seule visite au magasin. Il existe plusieurs autres exemples réussis qui démontrent comment le partage des ressources entre commerçants peut être utile pour toutes les parties concernées. Notre étude explore si ces mécanismes peuvent fonctionner sur les marchés internationaux.

Quels sont les résultats les plus importants du projet à ce jour? Que vous reste-t-il à accomplir?

Nous avons montré que les différences d’infrastructures logistiques entre les pays européens contribuent à la fragmentation. Dans leurs achats transnationaux, les consommateurs privilégient les commerçants de pays dotés de capacités logistiques élevées. Mais nos résultats montrent également que des capacités logistiques améliorées ne sont pas synonymes d’une augmentation des ventes transnationales et que les lois d’un pays sont un déterminant majeur de la demande étrangère que les commerçants sont susceptibles d’attirer. Les consommateurs seraient en effet très réticents à acheter dans des pays s’ils ne font pas confiance à leurs systèmes réglementaires, quelle que soit la qualité des performances logistiques. Cela met en évidence la nature potentiellement complémentaire de ces deux aspects (la logistique et les règles de droit) dans l’élaboration des politiques, tout en soulignant que tout investissement ou politique gouvernementale axé(e) sur un aspect peut ne pas compenser l’absence d’investissement ou de politique axé(e) sur l’autre. Nos résultats fournissent également des informations importantes aux commerçants qui cherchent des emplacements appropriés et qui tentent d’identifier des partenaires avec lesquels des alliances transnationales peuvent fonctionner. Actuellement, nous analysons l’impact précis d’une telle collaboration sur les systèmes gagnant-gagnant de partage des revenus/coûts entre les commerçants. D’après nous, ce domaine mérite d’être investigué.

Par temps de COVID, le concept «d’achat local» est devenu un argument marketing courant. Comment concilier une telle évolution avec votre travail?

Acheter local, c’est protéger l’environnement en réduisant l’usage des transports et en soutenant les économies locales. C’est peut-être une bonne alternative pour les produits, mais tout ne peut pas être acheté localement. En fin de compte, il peut en fait être plus respectueux de l’environnement de produire des articles là où les matières premières sont facilement disponibles ou dans des endroits où les énergies renouvelables sont davantage utilisées. Dans un tel contexte, un recours supplémentaire au transport peut être justifié. Comme tout n’est pas accessible localement, notre projet vise à rendre les flux de commerce électronique transnationaux plus efficaces en partageant des ressources comme les centres de distribution ou la livraison du dernier kilomètre. En tant que telles, les alliances peuvent également soutenir l’environnement. De plus, en développant un mécanisme gagnant-gagnant entre les commerçants, le cadre que nous envisageons n’est pas seulement un cadre où les commerçants nationaux et étrangers sont en concurrence. Ils peuvent également collaborer.

Quels résultats attendez-vous de ce projet à long terme?

Notre projet étant financé par des fonds publics, notre véritable objectif est que la société européenne dans son ensemble tire profit de nos travaux. Cela sera possible grâce à l’élaboration de politiques et à des gains d’efficacité dans les opérations de logistique de détail. À long terme, j’espère que nos connaissances contribueront à augmenter l’implication dans le commerce électronique transnational en Europe, ce qui profitera directement aux commerçants, en élargissant leurs marchés, et aux consommateurs qui bénéficieront d’une plus grande variété de produits et de services. Espérons que cette concurrence accrue créera également un précédent pour inciter à l’innovation et à la réduction des prix.

Mots‑clés

DSMFACIL, vente en ligne, commerce électronique, marché unique numérique, alliance transnationale, vente au détail