Censurer ou ne pas censurer: Le cas des Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer
Tout au long de l’histoire, mesurer et anticiper les outrages que peut causer une langue a toujours été une tâche difficile. De nombreuses œuvres littéraires se sont retrouvées, à un moment donné de l’histoire, au centre de débats sur le caractère acceptable ou inacceptable de leur contenu. Afin de mieux comprendre quels types de contenus littéraires sont censurés et pourquoi, le projet Censoring Chaucer, financé par l’UE avec le soutien du programme Marie Skłodowska-Curie (MSC), a examiné la censure et la célébration de l’obscénité dans les copies médiévales et modernes des Contes de Canterbury. Les recherches ont plus particulièrement porté sur «le langage et le contenu sexuel et scatologique», explique Mary Flannery, boursière du MSC et chercheuse principale.
L’œuvre de Chaucer sous le microscope
Écrits à la fin du XIVe siècle, les Contes de Canterbury figurent parmi les œuvres les plus célèbres, et parfois controversées, de la littérature médiévale. Leur auteur, Geoffrey Chaucer, parfois surnommé le «père de la poésie anglaise», est une figure clé de l’histoire littéraire anglaise. «En découvrant l’histoire de la perception de son humour paillard et de son langage obscène au cours des premiers siècles après sa mort en 1400, nous avons une idée plus claire des facteurs qui déterminent ce qui est laissé dans les textes audacieux et ce qui en est retiré», remarque Mary Flannery. L’une des constatations clés du projet est qu’à travers les 84 manuscrits et fragments des Contes de Canterbury qui subsistent du XVe siècle, différentes réactions à l’obscénité de Chaucer ont été perçues. «Certains manuscrits omettent des passages choquants ou remplacent des mots choquants. D’autres retravaillent des passages célèbres, comme la fin du Conte du marchand, où deux personnages ont une relation sexuelle dans un poirier», souligne Mary Flannery. Dans plusieurs manuscrits, les copistes ont ajouté des descriptions plus explicites de cette rencontre. Mais la plupart des manuscrits se contentent d’enregistrer ces mots grossiers et ces scènes humoristiques et indécentes sans aucun commentaire et fort peu de modifications. «Par conséquent, nous ne pouvons pas émettre de généralisations radicales sur la façon dont les lecteurs de cette période ont réagi au contenu sexuel et scatologique des Contes de Canterbury.»
Relever les défis
«Le plus grand défi de ce projet a été de rendre justice au manuscrit et aux copies imprimées des Contes de Canterbury, tout en restant attentif à l’histoire dans son ensemble», explique Mary Flannery. En effet, différentes copies comportent des indications différentes concernant les réponses des copistes, des lecteurs, des éditeurs ou des artistes dans le cas des copies illustrées. Pour résoudre ce dilemme, Mary Flannery a suivi deux «courants» de publications parallèles: des études de cas plus ciblées sur des exemplaires individuels sous la forme d’articles et de chapitres de livres, et la monographie qui constituera le résultat final du projet et qui retracera également la grande histoire de ce thème au cours des six derniers siècles. Ces publications et d’autres sont répertoriées sur le site web de la boursière. Mary Flannery confie ensuite: «J’ai obtenu une bourse de 5 ans du Fonds national suisse de la recherche scientifique pour achever l’histoire de l’obscénité de Chaucer et de son accueil au cours des 600 dernières années.» Le nouveau projet, intitulé «Canonicity, Obscenity, and the Making of Modern Chaucer» (Canonicité, obscénité et élaboration du Chaucer moderne), s’appuie sur les résultats de Censoring Chaucer en se concentrant sur la manière dont les lecteurs et les éditeurs ont réagi au langage et au contenu obscènes de Chaucer de 1700 à nos jours.
Mots‑clés
Censoring Chaucer, Les Contes de Canterbury, l’obscénité de Chaucer, littérature, censure, langage obscène