Mettre un peu d’ordre dans les solides amorphes désordonnés
Quel est le point commun entre les fenêtres, les bouteilles en plastique, les pneus en caoutchouc, les bonbons durs et la mayonnaise? Ce sont tous des solides amorphes. «Contrairement aux solides cristallins, bien organisés, les solides amorphes sont complètement désordonnés», explique Francesco Zamponi, physicien à l’École normale supérieure de Paris. «Ils présentent un vaste éventail d’anomalies, notamment des modes vibratoires à basse fréquence, leur chaleur spécifique et leur conductivité thermique sont caractérisées par un comportement différent de ce que l’on observe dans les cristaux, ils réagissent de manière non linéaire à des déformations arbitrairement petites et manifestent une dynamique hautement coopérative.» Ces anomalies étant mal comprises sur le plan théorique, les solides amorphes sont largement négligés dans la plupart des manuels de physique standard. Mais avec le soutien du projet GlassUniversality, financé par l’UE, Francesco Zamponi espère faire évoluer cette situation. «Nous avions pour objectif de jeter des bases “solides” concernant certains aspects essentiels des solides amorphes, sur lesquelles d’autres projets de recherche pourraient s’appuyer», ajoute-t-il.
Un aperçu de la transition de Gardner
L’une des théories proposées pour trouver une explication universelle à l’ensemble des anomalies associées aux solides amorphes est basée sur la transition de Gardner. Nommé en l’honneur de sa découvreuse Elisabeth Gardner, pionnière de la physique statistique des systèmes désordonnés et de l’intelligence artificielle, ce concept décrit une transition induite par la température ou la pression où un système désordonné (par exemple, des solides amorphes) s’organise pour atteindre un certain état parmi de nombreux états marginalement stables. «Nous souhaitions comprendre dans quelle mesure cette transition de phase contrôle la physique du verre à basse température», explique Francesco Zamponi. À l’aide de simulations informatiques et numériques, les chercheurs ont entrepris de caractériser les excitations et les défauts de différents types de verre. Les notions d’excitation et de défaut font référence aux petits mouvements atomiques thermiques autour de la structure solide désordonnée de référence qui contrôlent le comportement à basse température du solide. «La stabilité marginale induite par la transition de Gardner prédit que ces mouvements seront à la fois étendus, sur l’ensemble de l’échantillon solide, et fortement corrélés, le mouvement de l’atome situé d’un côté reflétant le mouvement se produisant de l’autre», indique Francesco Zamponi.
Quelques découvertes inattendues
Était-ce bien le cas? Les chercheurs ont découvert que de telles excitations de type Gardner existent, mais uniquement pour les verres qui sont suffisamment proches du point de blocage, qui correspond au point où un réseau mécaniquement stable d’interactions atomiques se forme pour la première fois en cas de compression. «C’était non seulement un résultat inattendu, mais également un véritable défi», fait remarquer Francesco Zamponi. «Comme nous ne nous attendions pas à ce que les excitations de type Gardner disparaissent hors du point de blocage, nous avons dû développer de nouvelles simulations pour comprendre comment ces excitations se localisent et interagissent.» Les chercheurs ont également découvert que lorsqu’un verre est fortement comprimé au-dessus du point de blocage, ce qui est le cas pour le type de verre utilisé dans la plupart des fenêtres, les excitations deviennent fortement localisées, c’est-à-dire qu’elles ne concernent que quelques atomes qui se déplacent. C’était la première fois qu’on observait et caractérisait ces excitations – qui sont qualifiées de systèmes à deux niveaux à effet tunnel et jouent un rôle crucial dans la physique du verre – à l’aide d’un modèle informatique réaliste de verre. Un grand nombre des résultats de ce projet soutenu par le Conseil européen de la recherche ont été publiés dans un livre intitulé Theory of simple glasses (théorie des verres simples).
Ouvrir la voie à de nouveaux domaines de recherche
Les travaux du projet GlassUniversality ont fait progresser notre compréhension des solides amorphes comme le verre, et ont également ouvert la voie à des recherches dans d’autres domaines. Prenons l’exemple des protéines. Les protéines pouvant être considérées comme des machines solides désordonnées capables de remplir des fonctions spécifiques, de nombreuses idées issues du projet GlassUniversality peuvent être appliquées à leur étude. «Je pense que la conception de matériaux désordonnés capables de remplir des fonctions spécifiques représente un futur axe de recherche absolument passionnant», conclut Francesco Zamponi.
Mots‑clés
GlassUniversality, solides cristallins, solides amorphes, modèles de calcul, modèles numériques, verre, physique, transition de Gardner, protéines