Les scientifiques européens scrutent les abysses sous-marins
La marge européenne des grands fonds océaniques - endroit où le plateau continental plonge d'une profondeur de 200 mètres vers la plaine abyssale située quelque 4.000 mètres en contrebas - s'étend sur approximativement 15.000 kilomètres, de l'Arctique à la péninsule ibérique, avec des prolongements à travers la Méditerranée et jusqu'en mer Noire. Attendu que cette "frontière" est située en grande partie dans la zone économique exclusive (ZEE) de l'Europe, ses ressources biologiques, énergétiques et minérales revêtent un intérêt stratégique certain. L'exploitation durable de ces ressources nécessite toutefois une solide compréhension de l'écosystème de la marge océanique - que l'on ne possède pas pour l'heure, mais à laquelle un nouveau projet de recherche de l'UE, chiffré à 15 millions d'euros, va permettre de subvenir. Le projet HERMES ("hotspot ecosystem research on the margins of European seas") est financé au titre de la priorité "Changement global et écosystèmes" du Sixième programme-cadre (6e PC). Réunissant un consortium constitué de 36 instituts de recherche et de neuf petites entreprises de 15 pays, HERMES est l'un des plus vastes projets de ce genre au monde. L'UE a déjà financé un certain nombre de petits projets de recherche portant sur la marge des grands fonds océaniques, à des endroits spécifiques et dans le cadre de telle ou telle grande discipline. Le projet HERMES représente toutefois une avancée considérable, puisqu'il implique un effort de recherche coordonné tout le long de la marge européenne et qu'il bénéficiera grandement de la comparabilité des résultats obtenus par différents sites ayant utilisé des méthodes prospectives communes. Des experts de toute une gamme de disciplines - biodiversité, géologie, sédimentologie, océanographie physique, microbiologie, biogéochemie et sciences socio-économiques - vont, sur un chapelet de sites d'étude, entreprendre la première tentative de grande envergure visant à fournir une compréhension intégrée des écosystèmes des grands fonds océaniques européens. Les types d'écosystèmes que l'on rencontre à ces profondeurs sont divers, allant des déclivités ouvertes, où les milieux biologiques sont affectés par les glissements de terrain et les courants océaniques profonds, aux milieux tributaires des fluides s'échappant du plancher océanique (suintements froids), aux monticules de coraux d'eaux froides, aux milieux cantonnés dans les canyons, et aux environnements anoxiques (exempts d'oxygène). Le projet est coordonné par Phil Weaver, du Centre océanographique de Southampton (Royaume-Uni). "Ces systèmes sont incroyablement fragiles et doivent être étudiés d'urgence", a-t-il déclaré. "L'un des objectifs clés du projet HERMES est d'évaluer la vulnérabilité de ces milieux au changement global et aux activités humaines et, s'il y a lieu, de développer des stratégies pour les protéger. Les résultats de nos recherches fourniront des recommandations sur lesquelles l'UE pourra baser sa politique." L'équipe internationale s'emploiera à relier ses recherches sur la biodiversité et les processus biologiques aux connaissances qu'elle est en mesure d'engendrer quant aux facteurs physiques affectant ces écosystèmes, relevant notamment de la géologie et la sédimentologie. Les scientifiques sont également avides de replacer leurs découvertes dans un contexte historique en étudiant les tracés de sédiments pour déterminer les changements environnementaux à long terme et leurs effets sur les écosystèmes. "Les changements dus aux forces naturelles de grande échelle (oscillations climatiques et variation du niveau des océans par exemple) ou à des effets plus localisés d'origine humaine (exploitation des ressources, introduction de polluants et de nutriments par exemple) doivent être distingués les uns des autres avant que les activités de l'homme ne rendent cette distinction impossible", fait-on valoir sur le site Internet dédié au projet. Le type de recherches que l'équipe va mener au cours des quatre prochaines années nécessitera des technologies sophistiquées, telles que véhicules sous-marins téléguidés et autonomes (ROV/AUV). Seule une poignée d'Etats membres disposent de telles ressources - autre raison pour laquelle la mise en place d'un aussi vaste consortium est nécessaire - et le projet portera également sur la coordination de l'infrastructure de grande échelle des instituts marins européens. En ce qu'il permettra d'étudier ces écosystèmes organisés autour des points chauds ("hotspots") parsemant les grands fonds océaniques et la profusion d'espèces inconnues qui les habitent, on espère que le projet HERMES pourra fournir les connaissances indispensables à l'élaboration de plans de gestion durable de ces ressources européennes parmi les plus fragiles et les plus mystérieuses.