Soins de santé mentale: intégrés contre fonctionnels
Les troubles de santé mentale touchent 38,2 % de la population européenne. Afin de réduire cette charge, les pays d’Europe essayent souvent d’améliorer l’organisation des soins de santé mentale à l’aide de réformes radicales. Malgré leurs différences, toutes ces réformes sont axées sur une question centrale et controversée: est-ce que les systèmes de soins de santé mentale devraient être fonctionnels ou intégrés? Stefan Priebe, coordinateur du projet COFI et professeur à la Queen Mary University de Londres nous en explique plus à ce sujet. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre un système fonctionnel et un système intégré? Alors que dans les systèmes fonctionnels, des cliniciens et des équipes différents (c.-à-d. une spécialisation des soins) sont responsables des soins hospitaliers et des soins externes, dans les systèmes intégrés les mêmes cliniciens sont responsables des soins hospitaliers et externes d’un patient particulier (c.-à-d. une continuité des soins). Même si la différence entre les deux approches présente des implications considérables, étonnamment, il n’existe pas de preuves de recherche solides pour alimenter le débat. Et c’est dans ce cadre qu’intervient le projet COFI, financé par l’UE? Oui. L’objectif du projet COFI (Comparing policy framework, structure, effectiveness and cost-effectiveness of functional and integrated systems of mental health care) était de répondre à la question de savoir si les soins de spécialisation ou ceux de continuité sont liés à des résultats thérapeutiques plus favorables pour ceux atteints d’une maladie mentale. Afin de le découvrir, nous avons mené des études dans cinq pays (la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et le Royaume-Uni), où les deux approches ont été utilisées dans le cadre des soins quotidiens. Cette façon de procéder nous a permis d’éviter d’associer un pays à une approche. Nous avons recruté les patients lorsqu’ils étaient admis à l’hôpital pour la première fois et nous les avons suivis pendant plus d’un an. En utilisant cette approche d’expérience naturelle, nous étions en mesure d’examiner avec succès les résultats dans des scénarios réels, par opposition aux études expérimentales. Alors, quel système est lié à des résultats cliniques et sociaux plus favorables? En réalité, ce que nous avons découvert c’est que l’approche aux soins, que ce soit la continuité ou la spécialisation, n’a aucun effet significatif sur les résultats sociaux ni cliniques des patients un an après leur admission dans un hôpital psychiatrique. Ce résultat n’était pas seulement constaté systématiquement dans l’ensemble de l’échantillon, il est également vérifié dans les différents sous-groupes, y compris les sous-groupes par pays, par diagnostic, par âge et le sous-groupe prenant en compte si la personne avait été admise précédemment. Cela dit, les patients faisant l’objet de soins de continuité ont signalé être plus satisfaits avec leur traitement hospitalier, très probablement dû au fait qu’ils ont pu rencontrer un clinicien qu’ils connaissaient déjà et qui est familiarisé avec leurs problèmes. En outre, les patients et les cliniciens ont identifié les avantages et les inconvénients de chaque approche, les avantages d’une approche incarnant les inconvénients de l’autre. Par exemple, pour les soins de continuité, nous avons constaté que de nombreux patients ont apprécié le fait d’avoir une relation continue et de confiance où ils n’ont pas à raconter leurs histoires, souvent stressantes, chaque fois qu’ils sont traités par un service différent. Cependant, avec la spécialisation, les patients ont signalé qu’ils avaient l’impression que leur clinicien était concentré sur le service spécifique où ils étaient traités et, souvent, ils appréciaient d’avoir un nouveau départ avec un nouveau clinicien à la suite de la crise qui avait provoqué l’admission à l’hôpital. Ces perspectives sur les avantages et les inconvénients ont été uniformes parmi les patients et les cliniciens ainsi que parmi les différents pays. En outre, la discrimination anticipée et expérimentée a été claire pour tous les patients, indépendamment du groupe de diagnostic. Cette perspective était particulièrement prononcée chez les patients atteints d’un diagnostic primaire de schizophrénie et de troubles associés, ainsi que de troubles anxieux et somatoformes. En général, bien qu’il s’agisse d’un sujet très controversé, notre recherche a conclu que le fait que les patients soient traités par le même psychiatre ou par différents psychiatres, en soins hospitaliers ou externes, n’a pas d’impact significatif sur aucun de leurs résultats, du moins tel que nous l’avons mesuré au cours de la période de suivi d’un an. Quels sont les points clés à retenir concernant le projet? Sur la base de nos résultats, nous avons élaboré plusieurs recommandations importantes pour le traitement des maladies mentales. Par exemple, si l’objectif du traitement est d’améliorer les résultats à long terme pour les patients, des réorganisations coûteuses des systèmes de soins de santé mentale ne devraient pas se concentrer sur un changement des soins fonctionnels vers les soins intégrés, ni inversement. Cependant, si l’objectif est d’améliorer l’expérience du patient au niveau du traitement hospitalier, alors les soins intégrés peuvent être préférables. En outre, même si les deux approches présentent des forces et des faiblesses, les considérations organisationnelles dans le contexte local et les préférences des patients et des cliniciens peuvent favoriser l’une des deux approches. Les préférences du patient s’avèrent particulièrement importantes lorsqu’il faut choisir entre les deux systèmes dans le même service. Dans ce cas, les avantages et les inconvénients potentiels de chaque système doivent être pris en compte. J’aimerais signaler que, à ma connaissance, le projet COFI constitue la plus large étude prospective menée chez des patients psychiatriques hospitalisés. Le fait d’avoir recruté et interviewé plus de 7 000 patients atteints de troubles mentaux dans les premiers jours d’admission à une hospitalisation aiguë et d’avoir obtenu des données de suivi concernant plus de 5 000 d’entre eux constitue déjà une réussite en soi. Il s’agit également d’une étude où la valeur du travail mené dans cinq centres de toute l’Europe est nettement supérieure à la somme de ses parties. Un élément qui renforce significativement nos conclusions est de montrer que des résultats similaires sont constatés dans des pays avec des traditions, des systèmes de santé et d’aide sociale différents. Quel sera l’héritage du projet? De nombreuses études arrivent à la conclusion qu’il est nécessaire de mener plus d’études, mais pas ce projet. Le projet COFI a réussi à répondre une question très importante qui a dominé les débats sur l’organisation des services de santé mentale dans toute l’Europe. Il est possible que la réponse ne soit pas populaire ni soutenue par les fervents défenseurs d’une approche ou de l’autre, mais elle est claire et scientifiquement valable. De manière intéressante, un des héritages pourrait être que les décideurs politiques fassent preuve d’une plus grande prudence au moment d’investir beaucoup de temps, d’énergie et d’argent dans le changement de l’organisation des soins de santé mentale, passant des soins de spécialisation à ceux de continuité ou inversement. De cette façon, l’héritage pourrait être la prévention de changements inutiles plutôt que l’application de plus de changements. Il sera certainement intéressant de voir dans quelle mesure les décideurs politiques prennent en compte nos résultats concluants et empiriques dans l’organisation des soins de santé mentale. Plus largement, le projet COFI soulève des questions relatives aux effets de l’organisation générale des services de santé mentale. Il indique qu’il faudrait mettre davantage l’accent sur le contenu des traitements que sur l’organisation globale des services, car chaque approche s’accompagne d’avantages et d’inconvénients spécifiques.
Pays
Royaume-Uni