En vedette - Des superordinateurs pour calmer les eaux agitées
Les turbulences peuvent entraîner des difficultés majeures. Lorsque l'eau s'écoule autour d'un cylindre elle laisse de petits tourbillons dans son sillage. Ils exercent des forces sur le cylindre, ce qui engendre des vibrations induites par vortex (VIV). L'impact de ces vibrations augmente avec la turbulence du fluide. Mais même dans des conditions relativement calmes, les chercheurs ont découvert des preuves de leur présence. Le niveau de turbulence de l'écoulement est mesuré par le nombre de Reynolds (Re). Ce nombre augmente avec la turbulence, et inversement. Par exemple, un fluide s'écoulant dans une canalisation suit un régime laminaire (sans turbulence) jusqu'à 2000 Re. L'état turbulent commence au-dessus de 3000 Re, avec des états transitoires entre ces deux valeurs. Dans le cas de structures pour exploitation pétrolière offshore, telles que les colonnes de montée et les pipelines allant aux plateformes en mer, le problème est encore plus sérieux. En effet, elles sont souvent exposées à des turbulences dépassant les 100000 Re, qui génèrent des forces importantes et destructrices. Les scientifiques de l'étude Cylinder ont cherché à acquérir des connaissances suffisamment détaillées sur la turbulence et ses interactions avec des cylindres, en vue de découvrir de nouvelles méthodes de conception des pipelines pour minimiser l'apparition des vibrations. Pour cela, ils ont cherché à analyser le comportement d'un modèle des turbulences en le comparant avec une simulation numérique directe de la turbulence, pour un nombre de Reynolds relativement faible. Cela peut sembler simple mais il s'agit bien d'une tâche complexe et de grande envergure. Les méthodes numériques de dynamique des fluides (CFD) sont parmi les domaines les plus délicats des mathématiques et de l'informatique. Les calculs font appel aux équations de Navier-Stokes, qui adaptent aux fluides les lois de Newton sur le mouvement. Ces équations sont extrêmement complexes, et même pour un nombre de Reynolds relativement faible (avec une faible turbulence), les problèmes peuvent rapidement dépasser les capacités des superordinateurs les plus puissants. «Tenter de comprendre ces tourbillons représente une nouvelle approche des calculs de dynamique des fluides. Pour y arriver, nous devons intégrer des informations sur l'ensemble de l'écoulement. Les calculs nécessaires sont alors très coûteux», souligne Roel Verstappen de l'institut de mathématiques et d'informatique de l'université de Groningue. Le coût est élevé, en termes de superordinateurs, car l'écoulement du fluide est très complexe. «Si l'on veut obtenir la solution complète pour un écoulement turbulent, il faut résoudre les équations à toutes les échelles. Outre l'échelle du cylindre lui-même, on rencontre des circulations très limitées, 1000 à 10000 fois plus petites que le diamètre du cylindre», explique le Dr Verstappen. C'est pourquoi les modèles et les méthodes de modélisation sont tellement importants. DEISA entre en scène Pour conduire des simulations directes, l'étude Cylinder devait avoir accès à des superordinateurs très puissants, c'est pourquoi elle s'est tournée vers la DEISA («Distributed European infrastructure for supercomputing applications»). Sur cinq années et deux projets, l'infrastructure DEISA a relié par un réseau les superordinateurs les plus puissants d'Europe, et conçu le logiciel pour faciliter l'utilisation de cette énorme puissance de calcul par les chercheurs. L'initiative a également proposé des services de conseil et de soutien, pour s'assurer que les chercheurs retirent le maximum de l'équipement disponible. Dans le cadre de ses travaux, la DEISA a mis en place l'initiative DECI («DEISA extreme computing initiative») afin de proposer les meilleures ressources de calcul à la recherche scientifique de pointe en Europe. Le but est de s'assurer que les ressources les plus puissantes vont aux travaux qui en feront le meilleur usage. L'étude Cylinder sur la turbulence en est un bon exemple. Elle a regroupé des chercheurs du CTTC de l'Universitat Politècnica de Catalunya en Espagne, du Maritime Research Institute Netherlands (MARIN), et de l'institut de mathématiques et d'informatique de l'université de Groningue aux Pays-Bas, en vue de conduire une simulation numérique directe de la turbulence à 22000 Re, une valeur relativement faible mais déjà délicate pour l'informatique. «Les simulations numériques directes sont actuellement impossibles pour un Re supérieur, car le nombre de calculs en virgule flottante devient simplement trop élevé», constate le Dr Verstappen. Grâce à DEISA, le Dr Verstappen et ses collègues ont pu conduire la totalité des calculs et mettre en évidence un très bon accord entre la méthode de modélisation et la simulation directe. Le test a requis environ 650000 heures de temps de calcul. «Cela paraît énorme, mais en fait ce n'est pas le cas», précise le Dr Verstappen. «Un écoulement turbulent plus complexe aurait nécessité 10, 20 ou même 100 millions d'heures. Pour ce genre de travaux, il n'y a qu'une seule adresse possible, la DEISA. Au niveau national, il est très difficile d'obtenir 1 million d'heures CPU, surtout chaque année. Grâce à la DEISA, nous avons pu mener à bien le projet Cylinder.» Les calculs de Cylinder ont été conduits au centre de superordinateurs de Barcelone. Les quelques essais préliminaires ont consommé dans les 50000 heures CPU, puis 600000 heures ont été investies pour le calcul principal. Le code a été mis au point par l'UPC - Barcelona TECH et l'université de Groningue. Des machines en local sont chargées de la visualisation et de l'analyse des données, grâce à un nouvel outil d'affichage conçu par le groupe Scientific Visualisation and Computer Graphics de l'université de Groningue. À terme, les calculs DECI conduits par le projet Cylinder visent à améliorer la conception du matériel d'exploitation. Actuellement, la conception des conduites et pipelines sous-marins se fait à partir d'expériences réalisées en piscine sur des maquettes. Les ingénieurs génèrent des vibrations dans les maquettes, mesurent les effets résultants et s'en servent pour essayer de calculer la résistance des matériaux nécessaires pour des structures cylindriques. Les travaux de Cylinder pourraient bientôt permettre d'utiliser des simulations mathématiques pour obtenir les données nécessaires, économisant du temps et de l'argent. Mieux encore, ces travaux pourraient s'appliquer à d'autres domaines. «Les résultats du projet Cylinder nous permettent de concevoir des modèles plus simples, utilisables pour des calculs d'ingénierie», déclare le Dr Verstappen. «Cette simulation d'écoulements est la première étape vers la simulation numérique exacte des vibrations induites par effet vortex dans les colonnes montantes sous-marines.» Le projet Cylinder s'est déroulé en 2009. En tant que prolongement, et avec le soutien de la Dutch Maritime Innovation Platform (MIP), le groupe a continué en vue de concevoir plusieurs modèles simplifiés. Ils seront mis à l'épreuve pour déterminer quel est le plus exact. «Ces modèles simplifiés permettront d'utiliser les services locaux de calcul parallèle pour faciliter la conception», explique le Dr Verstappen. «En général, les ingénieurs ont besoin de nombreuses passes de calcul lors de la phase de conception. Avec les résultats des travaux de Cylinder ainsi que du projet de suivi, ils auront besoin de moins de passes et de plus ils pourront les faire avec des ressources de calcul moins puissantes.» Le projet DEISA2 a reçu 10,24 millions d'euros (sur un budget total de 18,65 millions) via le sous-programme «e-Science grid infrastructures» du septième programme-cadre de l'UE. Liens utiles: - Distributed European infrastructure for supercomputing applications - données concernant le projet DEISA2 sur CORDIS - programme et projects e-Infrastructures - étude Cylinder Articles connexes: - Relier les superordinateurs pour simuler le soleil, le climat et le corps humain - Les superordinateurs s'attaquent au VIH - Les modèles climatiques mettent la superinformatique sur la passerelle - Supercomputing gets its own superhero, uniquement en anglais - The grid: a new way of doing science, uniquement en anglais - Les chercheurs européens spécialisés en fusion nucléaire accèdent à des ressources de calcul intensif