Enquête sur la remarquable culture de champignons par les fourmis
Les fourmis coupe-feuille présentent des parallèles fascinants avec les agriculteurs humains. Alors que l’homme a domestiqué les cultures depuis des milliers d’années, ces fourmis récoltent la végétation pour cultiver des champignons depuis des millions d’années. L’agriculture humaine est de plus en plus menacée par l’évolution rapide du climat de la planète. Pourtant, les fourmis coupe-feuille ont réussi à cultiver des champignons du Texas à l’Argentine dans des conditions de précipitations et de températures extrêmement variables. «Il est fascinant de constater que leurs systèmes agricoles ont perduré pendant des millions d’années dans des habitats divers, ce qui implique qu’elles ont atteint une certaine résilience face au changement climatique. Mes recherches tentent de déterminer les mécanismes qui permettent cette résilience», explique Jonathan Shik, professeur associé au département de biologie de l’Université de Copenhague et coordinateur du projet ELEVATE. Dans le cadre du projet ELEVATE, financé par le Conseil européen de la recherche, Jonathan Shik et son équipe ont étudié les fourmis coupe-feuille pour tenter de comprendre leurs processus agricoles et les principes évolutifs généraux qui régissent la domestication des cultures. «Cette recherche visait à comprendre la dynamique coévolutive qui a permis aux fourmis d’évoluer vers des systèmes agricoles sophistiqués avec un symbiote fongique», explique Jonathan Shik.
Étudier les techniques de culture des fourmis dans la forêt tropicale et en laboratoire
Comme tout bon agriculteur, les fourmis coupe-feuille doivent fertiliser leurs cultures avec les mélanges spécifiques de nutriments nécessaires à leur développement. Les agriculteurs humains utilisent des engrais inorganiques, tandis que les fourmis coupe-feuille recherchent des fragments de végétation fraîche qu’elles transforment en paillis nutritif et plantent dans leur jardin de champignons. «Comment ces fourmis “savent-elles” de quels nutriments spécifiques leur culture de champignons a besoin? Quels sont les besoins nutritionnels spécifiques de la culture des champignons?» s’interroge Jonathan Shik. Pour répondre à cette question, l’équipe d’ELEVATE a étudié les fourmis coupe-feuille d’une forêt tropicale humide du Panama. Les chercheurs ont prélevé des fragments de feuilles dans les mandibules des fourmis et les ont ensuite analysés pour en déterminer le contenu nutritionnel et déterminer les nutriments que les fourmis utilisent pour «fertiliser» leur culture de champignons. Un autre volet du projet consistait à isoler des champignons des colonies de ces fourmis et à les cultiver sur des boîtes de Pétri. Cela leur a permis de déterminer les conditions les plus propices à la croissance des champignons. Les chercheurs ont ensuite combiné les données provenant de la forêt tropicale et des expériences sur boîtes de Pétri pour déterminer si les nutriments ingérés par les fourmis correspondaient aux besoins nutritionnels «optimaux» du cultivar fongique.
Mettre en lumière les parallèles avec l’agriculture
Le projet ELEVATE a permis de découvrir des compromis évolutifs avec la domestication des cultures chez les fourmis cultivatrices de champignons, qui sont comparables aux compromis observés dans les systèmes agricoles humains. L’équipe a constaté qu’au fur et à mesure que les cultures de champignons se spécialisaient, elles commençaient à fournir des récompenses nutritionnelles de meilleure qualité, mais devenaient également plus vulnérables à une baisse des nutriments. Cela les a rendues plus dépendants de leurs agricultrices. Les chercheurs ont également découvert les mécanismes moléculaires et cellulaires qui sous-tendent la culture fongique et la manière dont elle produit des récompenses nutritionnelles pour les fourmis. «Nous avons démontré que le cultivar fongique recycle de manière altruiste ses propres composants cellulaires — par le biais d’un processus appelé autophagie — en métabolites nutritionnels utilisés pour approvisionner ses fourmis cultivatrices.»
Principes clés de la domestication des cultures
Jonathan Shik ajoute que la recherche ne pourra peut-être pas aider directement les systèmes agricoles humains, mais qu’elle a révélé certains des principes évolutifs fondamentaux qui régissent la domestication des cultures. «Il n’est pas nécessaire de disposer d’une connaissance, d’une culture ou d’une innovation technologique de niveau humain pour que cela se produise», précise-t-il.
Mots‑clés
ELEVATE, fourmi, agriculture, changement climatique, domestiquée, cultures, agricole, parallèles