Inverser l’économie du carbone avec des techniques d’exploitation des cyanobactéries
Les cyanobactéries (souvent appelées algues bleu-vert) sont une lignée de bactéries primitives à qui on attribue l’invention de la photosynthèse et qui se servent du soleil et du dioxyde de carbone de l’atmosphère comme source d’énergie, tout en absorbant de l’eau et les nutriments inorganiques qui y sont dissous pour se développer. Ce processus aboutit à la production de biomasse ou de protéines (enzymes) et de composés chimiques précieux, dont l’homme se sert comme composants dans les produits pharmaceutiques ou dans des matériaux comme le plastique. On a récemment tenté de modifier génétiquement certaines espèces de cyanobactéries afin de produire des «blocs de construction chimiques» utiles, mais les rendements sont restés trop faibles pour les employer dans des applications pratiques. De plus, les techniques et les outils ne sont pas encore aussi perfectionnés que ceux qui ont été mis en place pour des organismes comme la levure. Le projet Cynthetica, soutenu par l’UE et entrepris dans le cadre du programme Marie Skłodowska-Curie, a présenté la version génétiquement modifiée d’une souche de cyanobactéries à croissance rapide récemment identifiée, cette dernière étant susceptible d’être produite de manière industrielle. Ces cyanobactéries ont exprimé une protéine à l’intérieur de la cellule, qu’il est possible d’utiliser pour créer des «échafaudages» et des points d’ancrage pour les enzymes dans les voies de biosynthèse afin de produire les composés chimiques souhaités.
L’échafaudage, l’ancre et l’outil de capture
Les cyanobactéries possèdent naturellement un grand nombre de membranes à l’intérieur de leur cellule et, sachant que certaines bactéries fabriquent et utilisent des échafaudages membranaires, l’équipe de Cynthetica s’est intéressée à la possibilité de former des échafaudages similaires chez les cyanobactéries. «Nous souhaitions vérifier si le fait d’ajouter et d’agencer davantage d’enzymes sur les membranes des échafaudages protéiques pouvait permettre de produire les composés chimiques souhaités en plus grande quantité», indique le professeur Poul Erik Jensen, coordinateur du projet. «Parmi les composés en question figurent les diterpènes, qui présentent un intérêt pour l’industrie pharmaceutique en raison de leurs propriétés antimicrobiennes et anti-inflammatoires.» Pour lier les enzymes à l’échafaudage membranaire, l’équipe a mis au point des «ancres» membranaires – une chaîne d’acides aminés située à une des extrémités de la protéine. Des essais ont permis de démontrer leur efficacité, mais seul un nombre limité d’enzymes ont pu être fixées. Par ailleurs, l’équipe a créé un «outil de capture», c’est-à-dire une sorte de compartiment à l’intérieur de la cellule. Certains intermédiaires chimiques (des produits de certaines réactions chimiques) pouvant s’avérer toxiques pour la cellule, les confiner permet de limiter les dégâts qu’ils sont susceptibles de causer.
Vers une bio-société
La technique de Cynthetica constituerait une véritable aubaine dans le cadre des efforts visant à nous rendre moins dépendants des combustibles fossiles pour la production de matériaux et de médicaments. De plus, les cyanobactéries nécessitent environ 40 fois moins de surface au sol et 10 000 fois moins d’eau que les plantes pour fabriquer une quantité comparable de produits, et elles ne génèrent quasiment aucun déchet. Il est donc possible d’installer des unités industrielles dans des déserts, des mers ou des terres incultivables. «À l’avenir, les organismes photosynthétiques comme les cyanobactéries pourraient littéralement inverser l’économie du carbone, en utilisant le dioxyde de carbone atmosphérique, qui est généralement considéré comme un problème!», explique le professeur Jensen. En attendant la publication des résultats, l’équipe continue de peaufiner le processus. La prochaine étape la plus importante consistera à attacher des enzymes en grande quantité à l’échafaudage protéique. Par ailleurs, la technique devra fonctionner pour différentes voies de biosynthèse, dont certaines nécessitent plusieurs étapes et reposent donc sur un certain nombre d’enzymes différentes travaillant conjointement, un peu à la manière de ce qui se passe avec un tapis roulant. Les résultats de l’équipe aideront les entreprises à mettre en œuvre cette technique dans le cadre d’une production industrielle.
Mots‑clés
Cynthetica, biotechnologie, cyanobactéries, photosynthèse, dioxyde de carbone, produits pharmaceutiques, composés chimiques, protéines, enzymes, membranes, biosynthétique, modification génétique