Robo-Mate: la réflexion de toute une équipe pour soulever de lourdes charges
De nombreuses tâches restent manuelles malgré l'automatisation croissante de l'industrie européenne, et la santé des travailleurs en fait les frais. Rien qu'en Europe, 44 millions d'actifs souffrent de troubles musculo-squelettiques à caractère professionnel. Outre l'impact que cette pathologie a sur leur quotidien et le raccourcissement de leur carrière, elle coûte aussi à l'Europe l'équivalent de 3 % de son PIB. Si vous exposiez ce problème à un scénariste travaillant sur des blockbusters à Hollywood, il vous donnerait une réponse claire: pour pouvoir déplacer des objets toujours plus lourds en produisant moins d'efforts, les employés doivent être équipés d'un exosquelette. Et même si cette idée semble être du domaine de la science-fiction, les chercheurs de 12 organisations européennes seraient du même avis que lui. Ces organisations, qui comptent l'Université des sciences appliquées de Zurich, IIT, Fraunhofer et Ropardo, ont lancé le projet ROBO-MATE (Intelligent exoskeleton based on human-robot interaction for manipulation of heavy goods in Europe's factories of the future) dans un objectif en tête: assembler un exosquelette portable, intelligent et facile à manœuvrer pour les travaux de manutention. «Nous avons organisé de longues discussions avec des utilisateurs finaux ainsi que des sessions de réflexion internes qui nous ont aidé à imaginer et écarter différents concepts», explique le Dr Konrad Stadler, coordinateur du projet pour l'Université des sciences appliquées de Zurich. «Au final, nous avons décidé de privilégier le concept le mieux adapté aux exigences des utilisateurs finaux et réalisable dans les trois ans: un exosquelette modulaire et léger permettant de manipuler des objets de 15 kg au maximum». Une longueur d'avance Ici, le maître mot est «modulaire». À la différence de tous les autres concepts d'exosquelette, Robo-Mate est constitué de quatre modules pouvant être combinés ou utilisés de manière autonome. Un module destiné au torse soutient les hanches et le buste de l'employé pour réduire jusqu'à 25 % les forces de compression exercées sur le bas du dos; un module de bras passifs apportant une force d'élévation constante aux bras de l'employé manipulant des charges constantes; un module de bras actifs apportant une force d'élévation variable pour les tâches de saisie et de positionnement; enfin, un module d'interface homme-machine interagit avec l'exosquelette ou affiche les instructions d'assemblage. «Robo-Mate se démarque à deux niveaux: le premier est la construction du module de bras passifs. Contrairement aux autres bras passifs, il assure un soulèvement constant quel que soit le niveau des mains, sans utiliser de moteurs lourds ni de batteries. Le second est son concept modulaire: nous avons constaté qu'il n'existe aucune approche unique du problème de la manutention des objets lourds. En proposant différents modules, nous permettons aux entreprises de choisir celui ou ceux qui conviennent le mieux à l'exécution d'une tâche donnée», explique le Dr Stadler. Un chemin semé d'embûches. Lorsque le projet ROBO-MATE a débuté, d'autres concepts d'exosquelette avaient déjà au moins cinq ans d'avance, et l'équipe n'a eu que trois ans pour les dépasser. «Le problème était et reste le poids», déclare le docteur Stadler. «Pour être pratique, l'exosquelette doit être léger. Malheureusement, les systèmes qui utilisent les technologies actuelles d'actionneur et qui répondent aux exigences de vitesse du mouvement et de couple de soulèvement sont trop lourds ou trop encombrants. Nous sommes parvenus à surmonter cette énorme difficulté en mettant au point une conception en parallélogramme pour les modules de bras actifs et passifs.» Les entreprises séduites À en juger par l'intérêt des médias et du secteur industriel pour le concept, on peut dire sans prendre de risque que le consortium a mis au point une formule gagnante. Le module pour buste et les bras passifs et actifs ont fait l'objet de tests poussés au Centro Ricerche Fiat, COMPA et INDRA, et la démonstration du prototype final qui a eu lieu en août 2016 à Sibiu, en Roumanie, a attiré des représentants de plus d'une douzaine d'entreprises. Au total, 70 entreprises ont déjà fait part de leur intérêt au consortium et trois sont en négociation avec un partenaire du projet pour louer des modules de test. «Les tests menés dans nos laboratoires nous ont permis de mesurer l'activité musculaire et l'effort perçu avec et sans l'exosquelette», souligne le Dr Stadler. «Des employés ont également testé les modules en environnement de production et nous avons évalué la durée de tâches spécifiques ainsi que la perception du rapport entre effort et utilité.» Les résultats de ces tests révèlent que les modules peuvent effectivement éviter aux employés de se blesser tout en améliorant leur efficacité. Toujours plus loin: des tests industriels à la commercialisation Le projet étant arrivé à son terme fin novembre, les principaux partenaires s'attèlent à présent à la commercialisation de leur technologie. Quatre des partenaires ont conclu un partenariat avec un fabricant d'exosquelettes et ont posé leur candidature au programme Fast Track to Innovation (FTI) de l'initiative Horizon 2020. Ils espèrent ainsi pouvoir lancer la commercialisation du module pour buste. Six autres entreprises des secteurs automobile, de la construction et de la fabrication participeront à des tests complémentaires. Parallèlement, deux autres partenaires envisagent de se porter candidats à une autre bourse de l'UE. «Nous prévoyons également de créer une start-up», indique le Dr Stadler. «Somme toute, nous pensons que la commercialisation du module de bras passifs prendra un an, celle des bras actifs de 2 à 3 ans, et celle du module pour buste de 3 à 4 ans. Cela dépendra en grande partie du résultat de nos candidatures à des projets de suivi et de cette start-up.»
Mots‑clés
ROBO-MATE, MSD, troubles musculo-squelettiques, exosquelette, module, interface homme-machine, bras passifs, prototype