Des voitures «intelligentes» aux voitures «conscientes»: relever le défi de la conduite automatique
Sachant qu'environ 90 % des accidents de la circulation résultent d'erreurs humaines, un monde fait d'automobiles sans conducteur semble être la solution miracle pour la sécurité routière. Mais pour devenir plus efficaces qu'un homme, les automobiles doivent se «comprendre» entre elles et prendre des décisions rapides et pertinentes à partir des informations réunies. Le projet I-GAME a pour objectif de placer cette interopérabilité parmi les priorités de la recherche européenne. S'il est bien une chose qui nous rappelle combien le temps passe vite, c'est le regard des enfants lorsque nous parlons d'objets disparus comme les machines à écrire ou les télécopieurs, ou encore d'un monde sans Internet. Bientôt, un autre concept pourrait rejoindre cette liste, celui des voitures avec conducteur. L'idée peut encore paraître de la pure fiction, mais les voitures qui se conduisent elles-mêmes seront bientôt commercialisées. Sur les véhicules neufs, on trouve en standard des systèmes d'aide au stationnement, de régulateur dynamique de vitesse ou d'avertissement de sortie de voie. De grandes entreprises des hautes technologies testent la conduite automatisée en conditions réelles, et certains constructeurs automobiles publient déjà des mises à jour du logiciel afin que leurs voitures se conduisent seules sur l'autoroute ou viennent vous chercher à l'entrée de votre centre commercial favori. Ce qui manque encore, c'est la preuve qu'un monde de voitures automatisées soit réaliste en termes de sécurité routière et de fluidité du trafic. Les voitures de demain devront pouvoir «se parler» et «se comprendre» pour éviter les collisions et optimiser les décisions, le tout dans des situations où des centaines de véhicules pourront circuler dans un même lieu. Le but du projet I-GAME (Interoperable GCDC AutoMation Experience), financé par l'UE, est de soutenir cette interopérabilité en concevant des techniques génériques, fiables et résistantes aux pannes, et en les testant dans le cadre de son concours «Grand cooperative driving challenge» (GCDC) dont la fin est prévue pour juin 2016. Ce concours opposera des équipes dans la conception et la mise en œuvre du système de véhicules coopératifs le plus efficace possible. Le magazine research*eu consacré aux résultats a pu discuter de l'avancement du projet et du potentiel des véhicules sans conducteur avec Bastiaan Krosse, Jeroen Ploeg et Almie van Asten, respectivement responsable du programme de pilotage automatique, scientifique expert en conduite coopérative et coordinateur du projet I-GAME. Quels sont selon vous les principaux avantages de la conduite automatisée? Bastiaan Krosse: La conduite automatisée améliore le confort, la sécurité et le rendement, et élargit l'accès à plus de gens, par exemple les personnes âgées. Les avantages en termes de sécurité ont déjà été observés avec des solutions disponibles comme le régulateur de vitesse et le système de contrôle de voie de circulation. En matière de rendement, la conduite automatisée optimise l'utilisation du carburant, des batteries, des routes et même des espaces de stationnement. De fait, la sécurité semble s'améliorer à chaque nouveau système d'automatisation. Pensez-vous que l'automatisation telle qu'imaginée par le projet I-GAME nous rapproche de l'objectif de zéro victime sur les routes européennes? Bastiaan Krosse: Le projet I-GAME est axé sur l'automatisation coopérative, autrement dit sur l'interaction et la coopération entre les véhicules. Cette coopération implique que chaque véhicule comprenne les intentions des autres présents sur la route, améliorant ainsi la sécurité. D'après les statistiques européennes, environ 90 % des accidents de la circulation résultent d'erreurs humaines. L'association de l'automatisation et du V2X aura un impact positif sur la sécurité. Quels sont les principaux obstacles à l’adoption à grande échelle de la conduite automatisée, et comment comptez-vous les surmonter? Bastiaan Krosse: Avant d'envisager de déployer l'automatisation coopérative sur les routes d'Europe, nous devons atteindre l'interopérabilité entre les fabricants d'équipement d'origine (OEM, de l'anglais original equipment manufacturer) au niveau des moyens de communication et des canaux. Les interactions et les messages doivent être harmonisés à l'échelle européenne. Un autre obstacle notable est de conserver la fiabilité des systèmes embarqués, quelles que soient les conditions d'utilisation. L'équipe d'I-GAME soumet les véhicules à des tests dans des scénarios complexes, en exigeant des performances et une fiabilité très élevées de l'ensemble du système. Actuellement, il n'existe aucun processus de test et de validation des véhicules automatisés, sans parler de sa certification. L'un des objectifs du projet est de concevoir une procédure d'évaluation de la sécurité des véhicules participant au concours I-GAME. Elle pourra être la première étape vers la validation de véhicules automatisés coopératifs en situation réelle. Où en êtes-vous dans le développement de l'architecture I-GAME? Jeroen Ploeg: L'architecture I-GAME est constituée de quatre composants. Citons en premier l'architecture système globale, conçue en juin 2014 et qui apporte le cadre principal des développements futurs du projet. Le deuxième composant est le protocole d'interaction basé sur une séquence de message sans fil et sur des contrôleurs embarqués, servant à conduire nos deux scénarios. Le protocole du scénario (la fusion entre la coopération et l'automatisation) a dû être revu à cause d'un manque d'exactitude lors de la mise en pratique. Nous avons donc maintenant une version améliorée qui sera testée dans les mois à venir. Le protocole d'interaction du second scénario (l'intersection coopérative) a été soigneusement conçu par simulation et sera mis en œuvre dans des véhicules de test au cours des prochains mois. Le troisième composant de l'architecture I-GAME est le logiciel embarqué. Son développement est à présent terminé, même si des adaptations pourraient être nécessaires après les tests pratiques du protocole d'interaction du scénario 2. Enfin, la pièce finale du puzzle est l'architecture de la communication, basée sur les normes ETSI C-ITS relatives aux systèmes de transport intelligent coopératif. Nous voulons utiliser un équipement commercialement disponible pour la communication entre véhicules, et qui soit compatible avec les solutions de plusieurs constructeurs. Pour cela, nous utilisons autant que possible les ensembles de messages déjà disponibles. Mais pour la plupart, ces messages ne concernent pas les interactions de conduite automatisée mais des informations sur l'état de la route ou du véhicule. Nous avons donc conçu des extensions ou de nouveaux messages pour répondre aux besoins des interactions complexes exigées par les scénarios GCDC. L'interopérabilité est nécessaire, mais elle peut être dangereuse si elle est exploitée par des pirates. Quels sont vos projets à ce sujet? Jeroen Ploeg: Nous sommes conscients que l'interopérabilité présente un risque, mais le projet I-GAME a choisi de ne pas s'y intéresser pour éviter de se disperser. Cependant, nous suivons de près les développements dans ce domaine. Un projet de suivi est actuellement en cours de définition. Basé sur le concept de pelotons de camions, il implique plusieurs constructeurs de poids-lourds et vise explicitement des questions comme la sécurité en étudiant l'impact des mesures de sécurité sur les performances de l'automatisation, en relation par exemple avec une latence supérieure. De grandes sociétés comme Google et Apple travaillent à leurs propres solutions de conduite automatisée. Sont-elles compatibles avec l'approche ouverte d'I-GAME? Almie van Asten: Des entreprises extérieures fournissent les véhicules hautement automatisés utilisés par le projet I-GAME, et les communications seront compatibles avec plusieurs constructeurs. Pour assurer les communications entre les véhicules de différents constructeurs et leur permettre de collaborer, il faut atteindre la compatibilité au niveau des protocoles d'interactions et des ensembles de messages, mais pas du matériel. Par conséquent, nous accueillons chaleureusement toute partie voulant utiliser son véhicule automatisé compatible V2X, ainsi que les protocoles et les ensembles de messages (au niveau logiciel) fournis par notre projet. De fait, nous mettons au défi des sociétés comme Google et Apple de participer au concours et de collaborer au GCDC 2016. À propos du prochain GCDC, pourquoi avez-vous décidé d'impliquer des acteurs externes par le biais d'un concours de conduite? Êtes-vous satisfait des réponses jusqu'à présent? Almie van Asten: Pour que les protocoles d'interaction et les ensembles de messages développés soient acceptés par le plus grand nombre, nous voulons rassembler le plus de données possible et les réalisations de nombreux constructeurs dans différentes configurations matérielles. Ce concours accélérera le développement des protocoles en permettant de les évaluer dans des conditions réelles. Nous considérons donc qu'il s'agit là de la première étape vers la normalisation et la mise en œuvre de ces protocoles et de ces ensembles de messages, pour une conduite automatisée coopérative. Pour plus d'informations, veuillez consulter: I-GAME http://www.gcdc.net/i-game
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Pays-Bas