Utiliser l’apprentissage automatique pour identifier la violence politique et anticiper les conflits
Dans le monde actuel, les conflits et la violence continuent de causer des souffrances et des pertes inimaginables. Imaginez pouvoir anticiper l’apparition de la violence politique organisée et prédire la probabilité d’un conflit dans les pays du monde entier afin de prendre des mesures pour prévenir la violence. C’est précisément l’objectif des chercheurs de l’université d’Uppsala, en Suède. Soutenu par le Conseil européen de la recherche, leur projet, baptisé ViEWS, constitue une étape importante vers l’acquisition de la capacité d’aider les populations concernées avant l’éclatement d’un conflit. «Nous savons que les systèmes d’alerte précoce sont essentiels à l’heure de prévenir et d’atténuer les conflits. Mais ce qui compte encore plus, c’est de prendre des mesures préemptives sur la base de ces alertes», explique Håvard Hegre, chercheur principal dans le cadre du projet. «Si nous sommes à même de prédire à quel endroit et à quel moment un conflit est susceptible d’éclater, nous pouvons travailler avec les gouvernements et les organisations humanitaires pour prendre des mesures avant que la situation ne dégénère.»
Les algorithmes à notre service
ViEWS utilise des algorithmes d’apprentissage automatique pour analyser un éventail de sources de données, ainsi que des facteurs socio-économiques, l’évolution de la situation politique et des cas de violence antérieurs. Le système attribue ensuite une cote de risque à chaque pays, qui indique la probabilité de l’éclatement d’un conflit au cours des 12 prochains mois, explique Håvard Hegre, professeur de recherche à l’Institut de recherche sur la paix d'Oslo et au département de la recherche sur la paix et les conflits de l’université d’Uppsala. Plus particulièrement, le système surveille tous les lieux à risque et formule des prédictions uniformes sur le nombre de morts dans les conflits étatiques imminents. Ces données sont combinées à des évaluations probabilistes des risques de violence étatique, non étatique et unilatérale, au niveau national comme infranational. Si les prévisions nationales étayent les prévisions locales et vice versa, ces deux niveaux d’analyse diffèrent. Ces deux types de prévisions constituent des évaluations distinctes qu’il convient d’interpréter de manière conjointe. Par exemple, les modèles qui étayent les prévisions au niveau national tiennent compte des facteurs structurels et historiques importants. D’un autre côté, les modèles au niveau infranational accentuent les effets liés aux risques composés locaux concernant la démographie, la topologie, la proximité des ressources naturelles, les niveaux de précipitations locaux, les sécheresses et l’histoire des conflits dans les régions voisines.
Inspiration et résultats prometteurs
Håvard Hegre estime que la principale source d’inspiration de ViEWS est la recherche quantitative sur les conflits armés menée depuis les années 90. Cette recherche a identifié des tendances dans l’apparition des conflits, notamment le fait que les démocraties s’affrontent rarement dans des conflits interétatiques, et que les conflits intestins sont plus courants dans les pays dotés d’un système démocratique et dans les régions pauvres situées à proximité des frontières internationales. Forts de ces connaissances, Håvard Hegre et son équipe ont entrepris de concevoir un système capable de prévoir les conflits armés et d’alerter la communauté internationale des régions à haut risque. Déployé dans un premier temps en Afrique en tant que pilote, en raison du nombre élevé de conflits dont ce continent est le théâtre, ViEWS s’est étendu au Moyen-Orient en 2022. Les retombées de ViEWS sont considérables, en particulier dans les régions en proie à des conflits récurrents. En identifiant les zones à risque, les gouvernements et les organisations humanitaires peuvent prendre des mesures visant à remédier aux causes sous-jacentes des conflits et apporter un soutien aux populations vulnérables. Håvard Hegre est optimiste quant au potentiel du projet à changer la donne en matière de prévention des conflits dans le monde. «En fournissant des informations opportunes et précises aux décideurs politiques, nous pouvons œuvrer de concert à la prévention des conséquences dévastatrices des conflits», explique-t-il. Par exemple, les prévisions de ViEWS sont disponibles par le biais d’une API qui est mise à jour tous les mois. «Nous savons que les institutions des Nations unies accèdent à cette API; d’ailleurs un bureau des Nations unies en particulier a mis en place un "tableau de bord" interne affichant les prévisions en juxtaposition avec d’autres informations et les utilise dans le cadre de ses activités avec les parties prenantes», a déclaré Håvard Hegre. Le projet a ainsi contribué à l’élaboration d’un rapport des Nations unies qui présente les prévisions de ViEWS. «Nous collaborons de manière permanente avec des organisations internationales et des gouvernements qui disposent de systèmes d’alerte précoce internes», a ajouté Håvard Hegre. «Nous ne connaissons pas exactement l’ampleur de l’utilisation du système ViEWS, car il est accessible au public et nous n’avons pas suivi son utilisation de près. En revanche, nous savons qu’il est considéré comme une référence et que de nombreuses idées que nous avons testées sont en passe de bénéficier de leur propre modélisation.»
Mots‑clés
ViEWS, prévention des conflits, système d’alerte précoce de la violence, algorithmes d’apprentissage automatique, évaluation des risques, Afrique, prévention des conflits