À la recherche de nouvelles enzymes avec un ordinateur moléculaire
Les enzymes sont de puissants catalyseurs utilisés dans toute une série de secteurs industriels, de la biomédecine à la fabrication. En laboratoire, les enzymes d’origine naturelle ont permis des avancées importantes, comme les PCR et les CRISPR, et présentent un potentiel important pour la chimie verte. Pour aller encore plus loin, il faut créer des enzymes qui n’existent pas dans la nature, capables d’effectuer des opérations chimiques non naturelles afin d’obtenir toute une série de fonctions et de produits appréciables. Concevoir de telles enzymes reste néanmoins un processus ardu, limité par les capacités de calcul et le coût de la main-d’œuvre. Le projet ProFF, financé par l’UE, a cherché à relever ces défis grâce à un nouveau système d’évolution dirigée des enzymes. «Il existe un grand nombre d’applications pour lesquelles on a besoin d’enzymes que l’on ne trouve pas dans la nature, qui soient plus efficaces, plus résistantes à la température, etc.», explique Yannick Rondelez, coordinateur du projet, chercheur à l’ESPCI et au CNRS. L’approche adoptée par Yannick Rondelez, dont la formation est axée sur la programmation moléculaire, une forme de biologie synthétique, consistait à concevoir des machines biologiques capables de fonctionner sans hôte vivant, codées par de petits morceaux d’ADN synthétique appelés oligonucléotides. «Nous ne les créons pas à des fins biochimiques, mais à des fins calculatoires», explique Yannick Rondelez. Ces systèmes exploitent le fait que le processus évolutif puisse se comporter comme un algorithme, en sélectionnant des résultats spécifiques au fil d’itérations répétées – en l’occurrence, des améliorations apportées aux enzymes.
La programmation moléculaire
L’approche typique de l’ingénierie des protéines consiste à créer de multiples variantes et à tester individuellement leur activité. Les meilleures sont alors sélectionnées, puis le processus est répété. Il s’agit donc d’un processus lent et à forte intensité de main-d’œuvre. «Plus la bibliothèque de variantes que vous pouvez manipuler est grande, plus vous avez de chances d’en trouver une bonne», ajoute Yannick Rondelez. «Mais il est difficile d’enrichir cette bibliothèque de manière traditionnelle avec un nombre élevé de variantes. Nous essayons d’éliminer ce goulot d’étranglement et de manipuler un très grand nombre d’enzymes.» Pour y parvenir, Yannick Rondelez et ses collègues ont cherché à créer un programme moléculaire qui fait le lien entre l’activité phénotypique d’une enzyme et la réplication génétique. «On fabrique une émulsion avec un milliard de compartiments génétiques, chacun d’entre eux contenant une variante ainsi que le programme moléculaire», indique-t-il. «Si l’enzyme présente une activité correcte, elle déclenche le programme moléculaire et la réplication de son propre gène.» L’approche exploite plusieurs stratégies de liaison phénotype-génotype, car il faut tester la performance d’une enzyme tout en gardant la trace de la séquence génétique qui la produit.
Une entreprise dérivée dans le domaine des diagnostics
«Au cours de notre projet, nous avons beaucoup travaillé sur les enzymes dont le substrat est l’ADN lui-même, notamment les ligases», explique Yannick Rondelez. «Comme notre programme moléculaire est fait d’ADN, il est facile de relier une activité enzymatique à un système basé sur l’ADN. Mais il faut souligner que nous avons montré que cette approche était également possible avec des enzymes agissant sur des substrats non-ADN.» Le projet a bénéficié du soutien du Conseil européen de la recherche. «Cela m’a aidé à équiper un nouveau laboratoire et à embaucher une nouvelle équipe», explique Yannick Rondelez, qui a quitté le Japon pour la France afin de diriger le projet. «Il était très risqué d’intégrer de nombreuses techniques dont nous ne sommes pas spécialistes, et c’est quelque chose qu’on ne peut entreprendre qu’avec un soutien financier important et à long terme.» Un certain nombre d’articles ont déjà été publiés ou soumis, et un des volets de l’étude a débouché sur la création d’une entreprise dérivée dans le domaine des diagnostics. Yannick Rondelez indique qu’il prévoit de rendre la technique que son équipe a mise au point plus accessible et plus rapide, en permettant d’optimiser les enzymes en quelques jours.
Mots‑clés
ProFF, enzyme, dirigé, évolution, oligonucléotides, ADN, diagnostics, liaison, génotype, phénotype, réplication, activité