Des écosystèmes miniatures à base de feuilles révèlent les processus qui se cachent derrière la biodiversité des forêts tropicales
Bien qu’elles passent inaperçues en temps normal, des communautés entières d’organismes vivants peuvent être découvertes à la surface des feuilles provenant de forêts tropicales. Sur une seule feuille, on peut dénombrer jusqu’à 100 espèces de ces communautés extrêmement diversifiées appelées épiphylles, qui englobent les bryophytes (essentiellement les marchantiophytes), les algues, les champignons, les bactéries et les cyanobactéries. Comme pour les autres communautés biotiques tropicales, les raisons pour lesquelles ces communautés épiphylles sont si diversifiées et la manière dont cette biodiversité est maintenue restent mal comprises. Les tests de la biodiversité dans les forêts tropicales peuvent s’avérer complexes du fait de la lenteur de la dynamique des communautés d’arbres. En se concentrant sur les bryophytes et les lichens, les scientifiques sont en mesure de tester les théories de la biodiversité dans un système écologique ayant une dynamique bien plus rapide et une reproduction simplifiée par rapport aux forêts tropicales, tout en maintenant des niveaux de biodiversité aussi élevés. Le projet EPIDYN, financé par l’UE, est la première étude à explicitement aborder les interactions entre les espèces ainsi que la dynamique des communautés des espèces épiphylles sur une feuille unique. «Du fait du caractère éphémère de leur substrat et de leur dynamique à petite échelle et relativement rapide, les communautés épiphylles offrent un système idéal pour étudier la succession primaire et les mécanismes expliquant le maintien de la biodiversité par rapport aux variables environnementales», indique Maaike Bader, coordinatrice du projet.
Effet sur la succession écologique
Une chercheuse soutenue par le programme Marie Skłodowska-Curie a mené des recherches sur l’île Barro Colorado au Panama pour étudier les feuilles dans le cadre de différentes conditions de lumière et d’humidité, soit les principaux facteurs limitants pour les bryophytes et les lichens dans les forêts tropicales. En étudiant la composition des espèces et les schémas spatiaux sur les feuilles, l’équipe a déterminé leur ordre d’arrivée et d’établissement, ainsi que les interactions entre les différents organismes, permettant ainsi de mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent la structure communautaire des épiphylles. Elle a ainsi découvert que la succession des espèces sur les feuilles se caractérisait par une accumulation et non par le remplacement des colonisateurs «plus faibles» par des espèces davantage compétitrices. «Cela diffère du modèle classique de succession d’espèces au sein des communautés de végétaux», souligne Maaike Bader. De plus, à l’échelle de la forêt, les différents stades de succession (forêt fermée et inégalités forestières) différaient dans la composition des espèces des communautés épiphylles, ce qui indique l’importance de la dynamique forestière pour la biodiversité. «Nous avons ainsi démontré que la dynamique des habitats et les processus de succession à des échelles spatiales très différentes interagissent pour créer ces écosystèmes hautement diversifiés», observe Maaike Bader.
Une meilleure compréhension des épiphylles
Ces résultats aideront à comprendre comment des épiphylles très différents en terme de groupes taxonomiques évolutifs et d’un point de vue morphologique (par ex., les lichens et les marchantiophytes) se développent ensemble pour former des communautés biotiques de petite échelle. Maaike Bader explique: «En suivant les schémas spatiaux des feuilles au fil du temps, nous avons constaté que ces derniers sont passés d’un caractère essentiellement aléatoire sur les jeunes feuilles à un modèle plus organisé sur les plus âgées, ce qui indique une évolution de processus aléatoires (arrivée fortuite) à d’autres plus déterministes, par exemple la concurrence.» En suivant la dynamique des communautés sur un ensemble hautement répliqué de parcelles d’habitat miniatures, EPIDYN devrait permettre de mieux comprendre non seulement les communautés épiphylles, mais plus généralement l’écologie des communautés d’organismes sessiles. «Nous sommes encore loin de comprendre pleinement le fonctionnement des communautés épiphylles, mais il est important de ne pas les négliger ou les oublier lorsque l’on s’intéresse à la biodiversité et aux fonctions des écosystèmes», conclut Maaike Bader.
Mots‑clés
EPIDYN, épiphylles, biodiversité, forêt tropicale, succession