Concevoir des interrupteurs moléculaires pour recréer une polarisation cellulaire à partir de rien
On estime que la vie cellulaire est apparue lorsque des mélanges de molécules dites «précurseurs» se sont trouvés encapsulés dans des compartiments rudimentaires et ont généré des cellules primitives appelées «protocellules». Toutefois, pour manifester les comportements que nous associons à la vie, comme la division et la motilité cellulaires, les composants cellulaires doivent également s’auto-organiser dans l’espace et le temps.
Utiliser des composants biologiques pour générer des interrupteurs moléculaires artificiels
L’un de ces processus d’auto-organisation est la polarisation cellulaire qui implique le passage d’une distribution homogène des molécules dans les cellules à un agencement asymétrique. Ce processus est généralement étudié en appliquant des méthodes dites «descendantes» qui mesurent le résultat de perturbations appliquées à un système naturel. Avec le soutien du programme Marie Skłodowska-Curie, le projet POLAR a opté pour une approche complémentaire de biologie synthétique ascendante. «Nous avons construit des modèles minimaux à partir d’un ensemble de composants biologiques dans le but de produire des systèmes synthétiques qui matérialisent un aspect mécanique fondamental de la polarisation et de l’auto-organisation des cellules», explique Leon Harrington, titulaire d’une bourse dans le cadre du projet POLAR, qu’il a mené sous la direction de Petra Schwille, elle-même coordinatrice du projet. Afin de tester les mécanismes d’auto-organisation, les chercheurs ont construit un interrupteur synthétique de ciblage des membranes inspiré des protéines du système Min chez , un système bien étudié de formation de motifs structurels qui facilite la division des cellules bactériennes. Avec ses collaborateurs Jordan Fletcher et Dek Woolfson de l’Université de Bristol, Leon Harrington a conçu et construit un interrupteur réversible de ciblage des membranes en utilisant des motifs structurels peptidiques minimaux connus sous le nom de superhélices (coiled coils). Ces molécules, beaucoup plus petites que les domaines protéiques, répondent à des règles de conception plus maniables et prévisibles. L’équipe est parvenue à faire passer les superhélices de l’état de monomère à l’état d’hétérodimère par phosphorylation et déphosphorylation réversibles. Le «module» ainsi conçu a ensuite été couplé à des motifs structurels de ciblage des membranes pour construire des interrupteurs membranes réversibles pouvant être utilisés pour étudier les mécanismes de rupture de la symétrie. Les biomolécules ont tendance à se coller les unes aux autres de manière non spécifique dans des contextes synthétiques, ce qui rend l’ingénierie et le contrôle des interactions protéine-protéine et protéine-lipide particulièrement difficile. Leon Harrington admet que l’opération s’est révélée complexe d’un point de vue technique, mais il ajoute que: «La meilleure manière de démontrer une théorie ou de faire la preuve d’un mécanisme, c’est de partir de zéro et de tester.» L’approche ascendante adoptée par le projet POLAR permet aux scientifiques de se concentrer sur les éléments strictement nécessaires aux processus vivants et d’utiliser un éventail de techniques de mesure plus large que ce qui serait possible à l’intérieur d’un organisme biologique.
Applications futures du système POLAR
Les plans pour l’avenir incluent l’introduction de modules supplémentaires, afin de générer des réactions positives et négatives et de tester ainsi de manière décisive les mécanismes de rupture de la symétrie. En outre, les scientifiques testent actuellement l’intégration de composants à base d’ADN dans le système POLAR. La facilité de manipulation de l’ADN et son comportement prévisible rendent ces derniers particulièrement intéressants en tant que composants biologiques. Les applications des interrupteurs moléculaires vont bien au-delà de la seule étude de la rupture de symétrie qui constitue l’objectif principal du projet. Leon Harrington et ses collègues, ainsi que leurs collaborateurs, souhaitent étendre la portée des interrupteurs moléculaires POLAR, par exemple en utilisant d’autres types de modifications post-translationelles, ou en concevant des interrupteurs ayant une stœchiométrie plus élevée, comme les trimères et les tétramères. Ils prévoient également d’intégrer ces interrupteurs dans des structures protéiques conçues pour générer un comportement dynamique à l’intérieur des cellules. Dans l’ensemble, le développement de modules d’interactions réversibles à superhélices ouvre de multiples horizons pour la conception de systèmes moléculaires dynamiques. Se projetant dans l’avenir, Leon Harrington conclut: «Ces technologies profiteront largement à la communauté de la biologie synthétique.»
Mots‑clés
POLAR, interrupteur moléculaire, rupture de symétrie, polarisation des cellules, superhélice, biologie synthétique, ADN