L’outil rêvé de tout archéologue
Les tessons de poterie découverts par les archéologues lors de fouilles contiennent des indices vitaux sur la façon dont les gens vivaient dans les temps passés, notamment à l’époque romaine. L’identification précise de ces tessons par des experts peut prendre des heures. Le projet de l’UE ArchAIDE a fait appel à l’intelligence artificielle pour développer une application mobile et de bureau permettant d’identifier les céramiques et leur origine. «Cela permettrait d’économiser entre la moitié et les deux tiers du temps actuellement consacré à la classification de la poterie», explique Gabriele Gattiglia, archéologue à l’Université de Pise, qui a coordonné le projet pour développer le logiciel. L’utilisateur prend une photo du tesson de poterie qu’il souhaite identifier, adapte l’image à l’aide d’un outil convivial et l’envoie à des fins de classification. Le système utilise soit un modèle de reconnaissance fondée sur les images et la décoration présentes sur la poterie, soit un deuxième modèle basé sur la reconnaissance des formes, qui permet d’identifier les types de poterie, notamment le récipient auquel le tesson appartient. L’application renvoie cinq réponses en l’espace de quelques secondes et les classe selon un score basé sur le degré de certitude du système de classification d’avoir trouvé la bonne réponse. En un clic, les utilisateurs peuvent visualiser les informations relatives au type de tesson stocké dans la base de données ArchAIDE. «Il est ainsi possible de vérifier l’exactitude des réponses données par le classificateur», explique Gabriele Gattiglia.
Un vieux rêve
L’idée de développer cette application est venue à Gabriele Gattiglia et sa collègue archéologue Francesca Anichini il y a une dizaine d’années, alors qu’ils participaient à des fouilles en tant qu’archéologues professionnels. Cependant, ils n’avaient alors ni le financement ni le savoir-faire nécessaires pour surmonter les défis techniques de son développement. Ils ont sollicité un financement de l’UE, en 2014, après avoir présenté l’idée au chercheur Roberto Scopigno du centre de recherche italien CNR ISTI, qui a estimé qu’elle était réalisable. Un consortium impressionnant dont les membres viennent d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, du Royaume-Uni et d’Israël a rendu possible cette utilisation révolutionnaire de l’intelligence artificielle. Des archéologues ont fait équipe avec des ingénieurs et des techniciens pour enrichir la base de données sur la céramique, développer les deux réseaux neuronaux au cœur du système et créer les applications mobiles et de bureau. Afin de former le réseau à identifier correctement les tessons, les développeurs ont eu besoin de centaines de milliers de tessons. Les archéologues du projet ont passé des mois à parcourir l’Europe, photographiant près de 25 000 tessons. Les chercheurs de l’Université de Tel-Aviv et du CNR ont trouvé un autre moyen ingénieux d’en acquérir des millions d’autres. En effet, ils ont créé des modèles 3D de poteries à partir de dessins 2D et les ont brisés artificiellement afin d’obtenir des millions de tessons virtuels dans le but de former le réseau neuronal à reconnaître les formes céramiques. Les résultats du logiciel sont impressionnants: un taux de précision de 83,8 % dans le top 5 pour le modèle de reconnaissance fondée sur l’apparence et un taux de 62,8 % pour la reconnaissance fondée sur la forme. Les partenaires s’emploient à élargir la base de données d’ArchAIDE, afin d’encore améliorer la précision du système et de faire en sorte qu’il devienne une ressource de référence pour la recherche sur la poterie à travers les âges. Après la fin du projet en mai 2019, le MAPPA Lab, une unité de recherche de l’Université de Pise, a poursuivi cet objectif, en ajoutant de nouveaux catalogues et en activant une collaboration nationale et internationale avec des institutions et des groupes de recherche du monde entier en vue d’améliorer le système. «Pour l’heure, les applications ArchAIDE ne contiennent que quelques classes de céramiques, mais à mesure que ces dernières s’étofferont, elles vont véritablement révolutionner l’archéologie», conclut Maria Letizia Gualandi, chercheuse principale du projet.
Mots‑clés
ArchAIDE, poterie, tessons, fouilles, classification, base de données