Une nouvelle théorie pourrait révéler la nature microscopique des trous noirs
En 1975, Benkenstein et Hawking ont mis au point une formule pour calculer l'entropie des trous noirs, c'est-à-dire le nombre d'états microscopiques possibles compatibles avec leur état macroscopique observé. Mais cette avancée a également fait apparaître l'un des problèmes les plus importants de la physique théorique des hautes énergies: le paradoxe de l'information des trous noirs. Bien que la théorie quantique nous indique qu'aucune information ne peut s'échapper d'un trou noir, ces informations sont impossibles à trouver, même dans les radiations émises au cours de l'évaporation d'un trou noir. Un trou noir ne peut être décrit que par sa masse, sa charge électrique et son moment angulaire, et aucune information n'y est contenue. En d'autres termes, il n'y a actuellement aucun moyen de connaître la structure microscopique d'un trou noir. «Nous pouvons comparer cette situation à notre façon de percevoir l'eau», déclare Troels Harmark, professeur de physique théorique des particules et de cosmologie à l'Institut Niels Bohr. «Au niveau microscopique, l'eau est constituée de molécules (H2O), elles-mêmes constituées d'atomes et d'autres particules plus élémentaires. Mais ce que nous percevons, ce ne sont que les caractéristiques macroscopiques de l'eau, telles que sa température et sa pression. En ce qui concerne les trous noirs, ces caractéristiques macroscopiques sont relativement bien comprises. Nous connaissons par exemple leur masse et leur température. Mais nous ne comprenons pas très bien les éléments qui les constituent au niveau microscopique.» Même si d'importants progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies, en particulier grâce à la théorie des cordes pour certaines catégories de trous noirs, nous n'avons toujours pas une compréhension complète qui engloberait les trous noirs astrophysiques. En cherchant un moyen d'identifier tous leurs blocs constitutifs microscopiques, le Pr Harmark visait à révéler leur entropie. Dans le cadre du projet QUNAT, ses travaux ont repris à l'endroit où s'est arrêté le principe holographique, qui résout le paradoxe de l'information du trou noir en supposant que les trous noirs sont des surfaces bidimensionnelles projetées en trois dimensions. «L'idée du principe holographique est que certaines théories quantiques sans gravité, étrangères à notre espace-temps, peuvent décrire les éléments constitutifs microscopiques des trous noirs. Ces théories quantiques existent dans un nombre réduit de dimensions. Cette idée a toutes les caractéristiques qualitatives nécessaires pour fonctionner», explique-t-il. Cependant, même si peu de scientifiques doutent de la validité du principe holographique, son fonctionnement n'est complètement compris que dans des situations hautement symétriques et lorsque la force de gravité est faible. Les trous noirs et leur gravité extrême sont une toute autre histoire: pour vraiment comprendre leur nature microscopique, l'équipe du projet a dû prendre en compte le couplage de leur théorie quantique sous-jacente et considérablement l'augmenter. Pour cela, les chercheurs ont étudié une limite où la gravité et la mécanique quantique seraient toutes deux tellement simplifiées qu'il serait possible d'adopter cette limite à fort couplage. «À cette limite, on pourrait décrire le trou noir grâce à une nouvelle théorie quantique que nous avons élaborée, appelée théorie de la matrice de spin», explique le Pr Harmark. Grâce à cette nouvelle théorie, l'équipe a pu notamment comprendre ce qu'on appelle les D-branes, des objets non perturbateurs similaires aux trous noirs. Elle a révélé comment ces D-branes, qui sont en général décrits dans un fond gravitationnel, émergent d'une théorie quantique, y compris leurs interactions. «Pour la première fois, nous avons ainsi pu aller au-delà de la limite supersymétrique des D-branes, car les interactions introduisent des corrections non supersymétriques», déclare le Pr Harmark. Les chercheurs pourraient ainsi déterminer le type de géométrie découlant d'une théorie concrète de la matrice de spin. «La compréhension des trous noirs dépend en partie de la façon dont une géométrie émerge à partir d'une théorie quantique. Dans ce cas, nous avons pu comprendre l'émergence d'une géométrie à partir de toutes les théories de matrice de spin. Cela montre en particulier que la géométrie émergente est un nouveau type de géométrie n'ayant pas été pris en considération auparavant.» D'après le Pr Niels Obers, directeur de recherche adjoint à l'Institut Niels Bohr et scientifique en charge du projet, ces résultats nous permettent de mieux comprendre comment l'espace et le temps émergent d'une théorie quantique sous-jacente. «Ces connaissances pourraient être très utiles pour comprendre les premières étapes du Big Bang, lorsque l'espace et le temps apparaissent», déclare-t-il avec enthousiasme. Le projet est maintenant achevé, mais l'équipe poursuit ses travaux en étudiant des théories de matrice de spin pouvant être utilisées pour décrire les trous noirs. Elle suit également l'idée générale selon laquelle la théorie de la matrice de spin peut fournir de nouvelles correspondances holographiques susceptibles d'expliquer de façon quantitative comme l'espace et le temps ont émergé à partir d'une théorie quantique.
Mots‑clés
QUNAT, trou noir, caractéristiques microscopiques, relativité générale, mécanique quantique, Hawking, Benkenstein, principe holographique, théorie la matrice de spin, D-brane