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Comment la pêche influence-t-elle l'évolution des comportements des morues

Comme constaté chez d'autres espèces animales, les poissons tendent à réagir différemment à une nouvelle situation. Dans le cas de la pêche par les humains, les individus les plus téméraires risquent davantage d'être attrapés et ne laissent que les plus peureux et prudents se reproduire. Cela signifie-t-il réellement que les futures générations de poissons seront plus difficiles à pêcher? C'est l'une des questions auxquelles le projet BE-FISH a tenté de répondre.

La personnalité des poissons – un comportement individuel permanent maintenu dans la durée et malgré le contexte – est reconnue comme résultant des processus d'adaptation impliquant des compromis dus au cycle de vie ou des contraintes physiologiques. Concrètement, une population d'une seule espèce peut comprendre des individus du même sexe, de la même taille ou du même âge dotés de caractéristiques de comportement différentes, ces caractéristiques appartenant à cinq catégories principales: timidité-témérité, exploration-évitement, activité, sociabilité et agressivité. De nombreuses études ont prouvé que cette variation de personnalité était héréditaire. Les scientifiques du projet BE-FISH (Pace of life syndromes in fish: harvesting effects and the role of marine reserves) soupçonnent depuis longtemps que la pêche pouvait influencer de tels impacts d'évolution en éliminant par sélection les caractéristiques spécifiques au cycle de vie. Dr David Villegas-Rios, boursier postdoctoral Marie Curie au Centre de recherche Flødevigen (IMR) et coordinateur du projet, s'exprime sur les résultats du projet. Selon lui, ces résultats apportent un lien unique entre la pêche, les sciences écologiques du comportement et de l'évolution et ouvriront la voie, en tant que tels, à différents projets nationaux et européens dans les années à venir. La récolte humaine est une activité non aléatoire. Elle élimine souvent des individus plus désirables (par ex. en tant que trophées) ou plus vulnérables, ce qui est le cas pour la pêche. Les individus téméraires pénétreront par exemple plus facilement dans une nasse que les plus timides. De la même manière, les poissons les plus actifs trouveront les filets plus facilement que les individus moins actifs. Le comportement peut donc déterminer la santé physique. En éliminant toujours les individus dotés des mêmes caractéristiques de comportement, les pratiques de pêche peuvent avoir des conséquences sur l'évolution des populations pêchées. En stimulant par exemple une évolution vers des phénotypes moins actifs. Les conséquences écologiques de ces pratiques sont encore très méconnues mais peuvent avoir une influence négative sur l'adaptation en réduisant le potentiel de futures adaptations avec la productivité des populations. Pourquoi pensez-vous qu'il faut prendre en compte ces évolutions pour la pêche? Les évolutions ayant une mauvaise influence sur l'adaptation des comportements peut entraîner la survie d'individus de moins en moins faciles à attraper (car ce sont toujours les individus les plus vulnérables qui se font prendre) et réduire ainsi la productivité des pêcheries. De plus, les changements de comportement sont considérés (et parfois avérés) coïncider avec des différences au niveau du cycle de vie, à savoir la théorie du rythme de vie. Ceci signifie, par exemple, que les poissons les plus actifs peuvent également être ceux qui grandissent le plus vite, pondent le plus d'œufs, donc les plus productifs. En pratique, le résultat est que les conséquences négatives sur l'adaptation de l'évolution des caractéristiques de comportements induite par la pêche peuvent toucher d'autres caractéristiques plus importantes pour la productivité des exploitations piscicoles. Si nous sélectionnons les poissons les plus actifs parce qu'ils trouvent plus facilement les pièges et que ces individus sont ceux à la croissance la plus rapide (s'il y a une corrélation génétique entre l'activité et la rapidité de la croissance), ces populations déclineront plus rapidement que prévu. Pouvez-vous nous en apprendre plus sur les techniques utilisées pour collecter les données télémétriques? Le projet BE-FISH a utilisé la télémétrie acoustique pour enregistrer le comportement sauvage des morues. La télémétrie acoustique est une technique très répandue permettant de comprendre l'écologie spatiale et les mouvements des organismes aquatiques. Nous faisons une petite incision dans l'abdomen du poisson, y plaçons un transmetteur acoustique et refermons la cavité par deux ou trois points avec du fil chirurgical. Pour faciliter la procédure, le poisson est tout d'abord anesthésié avec de l'huile de clou de girofle qui l'empêche de bouger pendant quelques minutes. Lorsque le poisson se réveille et retrouve son comportement habituel (généralement après 5-10 minutes), il est relâché dans la nature. Il transmet alors un code unique révélant son identité propre ainsi qu'une mesure de profondeur. Le système est complété d'un ensemble de récepteurs subaquatiques répartis le long du système de l'étude (ici, un fjord côtier), à 3-4 mètres de profondeur, et forme ainsi une zone dense d'enregistrement des signaux des transmetteurs. Le système est simple, dès que le poisson est assez proche d'un récepteur donné, celui-ci enregistre sa présence ainsi que sa profondeur au moment de sa détection. En plaçant des récepteurs très proches les uns des autres, nous pouvons obtenir une estimation précise de l'emplacement et de la profondeur réels du poisson. Nous avons enregistré, au cours de cette étude, des positions environ toutes les 1,5 minute. Les données des récepteurs sont chargées et analysées deux fois par an. Quels tests avez-vous effectué sur les poissons et dans quel but? Pendant le projet BE-FISH, nous avons étudié le comportement des poissons dans la nature et en captivité. Dans le premier cas, nous avons utilisé la télémétrie acoustique, comme évoqué plus haut. Nous avons alors mené trois tests standards en captivité pour étudier le comportement des animaux. Dans un premier temps, nous avons réalisé un test en espace ouvert pour pointer la tendance d'exploration. Pour ce test, les poissons pouvaient nager dans un réservoir ouvert de 600 litres pendant que nous enregistrions différents paramètres typiques de leur comportement individuel d'exploration (à savoir la latence du premier mouvement). Nous avons évalué leur témérité dans un nouveau test d'objet. Pour ce faire, nous avons présenté aux poissons habitués au réservoir du test précédent un nouvel objet placé au centre du réservoir. Nous avons considéré leur réaction par rapport à cet objet (latence d'approche, période à proximité, etc.) comme une mesure de leur témérité. Enfin, nous avons mesuré leur agressivité en laissant les poissons interagir avec leur propre image réfléchie dans un miroir. Nous avons alors, entre autres, enregistré le nombre d'approches et le temps passé à proximité du miroir. Grâce à ces trois tests, nous avons pu quantifier trois des cinq axes de comportement enregistrés habituellement dans les études de personnalité des animaux. Quelles conclusions tirez-vous à ce jour de votre recherche? Nous menons actuellement les dernières analyses du projet. Jusqu'à présent, nous avons découvert que les variations individuelles de comportements des morues de l'Atlantique ont lieu aussi bien dans la nature qu'en captivité et que les caractéristiques de comportement enregistrées peuvent se répéter au niveau individuel – elles peuvent donc être appelées caractéristiques de comportement. Autrement dit, les caractéristiques de comportement des morues devraient être héréditaires et la pêche ou d'autres activités humaines pourraient jouer un rôle dans la dynamique éco-évolutive des populations. Nous avons également identifié que les caractéristiques de comportement des morues notées dans la nature sont corrélées au niveau de l'individu. Ces corrélations sont nommées syndromes comportementaux et reconnus source de contrainte dans les évolutions: les caractéristiques n'évoluent plus de manière indépendante mais dépendent plutôt de l'évolution des caractéristiques corrélées. En d'autres termes, nous avons découvert que la possibilité d'évolution des caractéristiques de comportement des morues avait diminué en moyenne de 25 %. Quels sont vos autres objectifs d'ici la fin du projet? Nous n'avons pas encore terminé toutes les analyses, mais nous souhaitons savoir, d'ici les prochains mois, si les comportements mesurés en captivité sont corrélés avec les comportements mesurés dans la nature – cette recherche n'a jamais encore été réalisée pour un organisme marin. Elle est importante car les chercheurs évaluent généralement le comportement en captivité et en tirent des conclusions sur l'évolution. Les essais en captivité ne sont pas toujours représentatifs du comportement dans la nature, cependant sujet à sélection et à évolution. Il est donc essentiel de tester l'hypothèse que les caractéristiques de comportement mesurées en captivité sont cohérentes en termes écologiques. La dernière analyse nous indiquera également si les caractéristiques de comportement sont liées à des caractéristiques du cycle de vie telles que la croissance. Ces résultats nous permettront de comprendre si les conséquences évolutives de la pêche incluent des changements dans l'évolution des caractéristiques corrélées pour la productivité de la population. Quel sera, selon vous, l'impact du projet dans les mois et années à venir? Dans la pratique, certains résultats ont déjà été envoyés à la publication dans des revues internationales. D'une manière plus générale, ce projet marquera une étape dans notre vision et notre analyse des données télémétriques. Il élargit le champ des applications possibles et de leur potentiel car nous avons illustré comment les utiliser pour comprendre les processus d'évolution écologique dans les organismes marins. Notre projet prouve également de manière empirique que les organismes marins font montre de personnalités animales et de syndromes comportementaux dans la nature. Il offre une preuve irréfutable: nous savons désormais que l'évolution des caractéristiques induite par la pêche est non seulement possible, mais réellement commune et qu'elle dépend de la structure de corrélation des caractéristiques. Ce projet pose le défi de comprendre si les modèles observés dans l'espèce étudiée (morue de l'Atlantique) peuvent être généralisés à la plupart des créatures marines. BE-FISH Financé dans le cadre du FP7-PEOPLE page du projet sur CORDIS

Pays

Norvège